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Okinawa shugyô II

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Okinawa shugyô II

Message par karatejapon » Lun Sep 11, 2006 8:23 pm

Hanchindi nous fait le plaisir de nous livrer le deuxième opus de ses séjours à Okinawa.

Août 1995

Départ pour le Japon, cette fois le groupe est plus conséquent (une grosse dizaine de personnes). Pour moi, ce sera un mois avec le groupe Ôshiro et deux mois seul, depuis mon dernier séjour, je suis tombé amoureux d'Okinawa.

Cette année, on arrive par l'aéroport d'Ôsaka, pas besoin de faire le transit de Narita (aéroport international) à Haneda (aéroport national) par bus, c'est toujours des heures de transport en moins, et puis le paysage, ce n'est que du béton, rien de folichon.

Arrivée à Naha, comme la fois précédente, nous sommes accueillis par les membres de la Kokusai Karaté Kobudô Renmei de Higa Seikichi, mais cette fois, ils viennent avec une camionette pour les bagages. Nous, nous prenons des taxis, les taxis japonais sont à ouverture automatique pour les portes et le coffre, pas besoin d'ouvrir ou de fermer, c'est assez surprenant la première fois… et la deuxième.

Nous arrivons à l'hôtel, en bordure du port de Tomari, il fait déjà nuit. Pour cette première soirée, quartier libre, mais Ôshiro nous indique quand même les facilités à proximité. Grande surface de l'autre coté de la rue, "conbini", supérette open 24/7 pas loin, bureau de poste et des restos aux alentours.

En raison du grand nombre de participants à ce voyage, l'organisation des cours est complètement différente. Plus d'entraînement individualisés, cours de masse; au kobudô, c'est la même chose, la raison principale de ce changement, c'est le manque de place et de personnes qu'il aurait été nécessaire pour nous encadrer.
Peu importe ces entraînements furent quand même très enrichissants.
Pour profiter au maximum des cours de karaté, nous assistons aux cours enfants, dès 19h00 pour finir sur les coups de 23h00… épuisés.

Soirée extraordinaire au kobudô.

Matayoshi me demande "Tu connais ce kata" (karaté); "oui je connais"; "vas-y, fais-le"; je fais le dit kata; "c'est pas mal, recommence", et là corrections pendant le kata. Et il recommence comme ça pour un autre kata de karaté et deux de kobudô. A la fin il me dit "c'est bon t'as bien bossé, tu peux aller t'asseoir". Et les autres échauffement.
Ce soir là j'ai compris qu'avec lui, quand je serais seul, ça s'ra pas deux mois d'vacances.

Ce soir, dîner avec le staff du Kokusai Karaté Kobudô Renmei, à Naha. Le dîner commence normalement et l'heure avançant, les esprits se libèrent. En pleine salle, remplie de mangeurs, Kushi</b> donne des explications sur le relâché du bras pendant un coup de poing.

Les après-midi, entre les entraînements, tourisme au programme, visite obligé chez Shureido sensei.

Un mois se passe ainsi. Départ pour l'aéroport de mes co-stagiaires, je les accompagne et je rentre en bus accompagnant Higa Seikichi. Avant le départ de mes co-stagiaires, je me suis trouvé un minshuku (litt. logement populaire) pas trop loin du Shôdôkan et très près du Kôdôkan. La patronne est sympa, le prix comprend la chambre avec télé, clim et ventilateur, les repas, la lessive, j'vais pouvoir vivre à la japonaise, avec des Japonais et des Okinawaïens, le pied.

Maintenant que je suis seul, les entraînements reprennent leur cours normal… sauf que j'ai pour moi tout seul TOUS les sensei, Higa, Kyûna, Ôshiro (un autre), Yoena, Yamashiro, Kushi</b>, Kinjô…Et ils sont bien heureux que je sois là, ils profitent de ma présence pour discuter du bien fondé et des avantages de telle ou telle position… pendant que je suis en position "bouge pas avant qu'j'ai fini mon explication".
Ex. entre eux "oui, mais, très cher Yamashiro san ce neko ashi dachi permet de…"certes, mais dans ce cas, si le déplacement n'est pas assez rapide, balayage…" et hop, j'me r'trouve par-terre.
Des comme-ça-du-même-genre, j'en ai eu plus qu'à mon tour.

Les bunkai sont du même acabit, faut qu'ça marche, "bon si tu y arrive pas en souplesse, mets un peu de puissance, t'arriveras bien à le faire souple en son temps", qu'y m'disent.

Maintenant que je peux me prendre en main, je m'organise mon propre emploi du temps:
10h00-12h00 : hojo undô, travail avec instrument pour le renforcement des techniques.
Je rentre manger au minshuku ou je vais manger sur le port.
L'après-midi, je commence à étudier l'histoire d'Okinawa, ce qui implique de faire des recherches dans les furuhon, bouquinistes, visiter des musées et travailler aux traductions.
19h00-22h00: entraînement karaté ou kobudô.

Pour le hojo undô, Higa m'a gentiment proposé d'utiliser le matériel de son dôjô.
A ma disposition, j'ai donc chi ishi, "haltère" avec un poids à une seule extrémité,ishi sashi, pierre percée pour la prise de la main,kami, jarres, makiwara, poteau de frappe.
Le makiwara d'Okinawa est très souple, le but de celui qui frappe, n'est pas de nécessairement frapper fort, mais aussi et surtout de lâcher le coup, lors de mes entraînements du soir, Yoena sensei, plus de 90 ans cette année-là, insistait sur la rotation de hanches pour générer la puissance "c'était comme ça avec sensei" (Higa Seko).
tetsu geta, socques japonaises en fer, tan, barre à disques, très prisé par Kyûna sensei…
Le premier matin, je me présente donc au domicile de Higa</b>, sa femme m'ouvre la porte et me dit "voilà la clef, en partant mets la dans la boite aux lettres". Grande surprise, Madame Higa m'apporte des petits gâteaux et des boissons pendant l'entraînement et me dit "ce que tu ne mangeras pas, emporte-le". GENTILLE MADAME HIGA.

Puisque je suis seul, je dois suivre les cours et entraînements comme n'importe quel Okinawaïen et c'est là que je vois une façon de s'entraîner différente de celles auxquelles j'étais habitué.

Description des cours et entraînements:

Karaté.
Le cours des enfants débute à 19h00 précises. A leur arrivée, les enfants annoncent (fort): "konbanwa", "bonsoir".
Cet cours est toujours dirigé, encadré par Yamashiro sensei et d'autres, et supervisé par Ôshiro Yuzuru.

Salut ponctué par un "onegai shimasu", "s'il vous plaît". Echauffement dirigé, puis les enfants sont divisés en groupes de ceintures, chaque groupe étant dirigé par un des senpai présent, moi y compris. Les adultes débutants sont automatiquement inclus dans le groupe des ceintures marrons (enfants les plus âgés), si leur niveau de kata est bas, un senpai (ou plusieurs, si nécessaire) s'occupe alors d'eux.
Au milieu du cours, coupure/"récréation", surtout pour se désaltérer, la chaleur l'exige.
A la fin du cours, salut ponctué par un "arigatô gozaimashita" "merci". 20h30, le cours enfants se termine.

L'entraînement des adultes est (beaucoup) plus libre. Chacun arrive quand ses obligations professionnelles le lui permettent, salut au kamiza et saluts/hochements de tête aux différentes personnes présentes. Après avoir revêtu le karategi, chacun s'échauffe à son rythme puis commence son entraînement.
S'il veut travailler kata, il s'entraîne jusqu'au moment où un senpai viendra le corriger, si nécessaire. S'il veut apprendre un nouveau kata, il va voir un senpai et le lui demande : "Sumimasen desu keredomo, X no kata o oshietekuremasen ka yoroshiku onegai shimasu".
"Excusez-moi (très poli), pourriez-vous m'enseigner X no kata, s'il vous plait?" Là, il lui sera répondu soit "oui" soit "tu devrais encore travailler X no kata".
Pour le travail à deux, il va voir un senpai ou un partenaire et lui demande:
"Kitae-waza o shimashô ka", "Ferions-nous/on fait du durcissement?"
"Bunkai o shimashô ka", pour le bunkai,
"Jukumite o shimashô ka", pour le "combat". Le combat est quelque chose de très souple, de très technique : "si tu veux taper fort, y'a les sacs".

Contrairement aux enfants, les adultes peuvent aller boire, quand ils le désirent, des boissons mises à dispositions (eau, thé chaud ou froid) ou ce qu'ils ont apportés et manger un morceau de kurosatô, sucre de canne.

L'entraînement adulte dure jusqu'à épuisement des protagonistes, chacun part, après avoir salué les gens présents et le kamiza, quand il estime avoir fait ce qu'il avait à faire ce soir-là.

Les kata sont enseignés temps par temps, sans rythme. Le rythme, chacun le met suivant SA propre interprétation du kata, dans une optique de combat et de la signification qu'IL met dans chacun des gestes du kata. Cette façon de faire rend le kata vivant et reflète la personnalité de chaque exécutant.

Kobudô.
Les entraînements étaient dirigés de la même façon mais il n'y avait pas de cours enfants jusqu'au décès de Matayoshi Shinpô. Par la suite, avec l'apparition d'un cours enfant, cela s'est passé de la même façon.

La grosse différence, c'est qu'avec l'utilisation d'armes plus ou moins longues et le manque de place en résultant, tous les participants ne peuvent pas s'entraîner en même temps, mais tout le monde finit par trouver son compte.

A la fin de l'entraînement, tout le monde s'assit en rond pour boire et se rafraîchir, manger une sucrerie.

Il en fut de même dans tous les autres dôjô où j'ai suivi des entraînements, la fin de ceux-ci est toujours un moment de convivialité. Au Kenshikai de Hokama Tetsuhiro, il fait une lecture/explication du Bubishi ou de ses recherches.

J'ai questionné les différents sensei au sujet de la conduite de ce genre d'entraînements pour adultes, tous m'ont répondus la même chose : "Les adultes sont adultes, ils savent ce qu'ils ont à faire, ce qui leur convient. Ce n'est pas aux sensei/senpai de les prendre par la main pour leur dire ce qu'ils doivent faire".

Depuis que je suis rentré en France, j'essaie de mettre en place ce genre d'entraînement adulte, mais les gens s'attendent à ce que LE prof. les dirige…comme des enfants. Ca n'est que depuis cette année que certains de mes élèves ont compris, seraient-ils devenus adultes?

En fait je ne suis pas le seul blanc au Shôdôkan, il y a Jay, un météorologue américain, nous sympathisons et nous entraînons ensemble, il aime beaucoup les clefs sur les bras, les jambes…
Et puis, un jour arrive quatre Argentins, gabarit rugbymen, voire All Blacks. Très sympas, ils m'invitent à manger des plats typiques, de chez eux, dans l'appartement qu'ils ont loué.

Avec eux, j'ai vécu une soirée extraordinaire au karaté.

Ce soir Kyûna est là, "Eh oh, les Argentins, venez donc faire kakie".
Petit rappel de leur gabarit: All Blacks; Kyûna, gabarit costaud, certes, mais moins qu'eux, mais avec un gros avantage : l'expérience en plus.
Il les a pris un par un, à la suite, jusqu'à ce qu'ils s'avouent vaincus, sans forcer. Moi dans mon coin, je regardais d'un coin d'œil narquois, en faisant un kata… "Eh toi, là bas, viens donc jouer avec nous". Et j'ai fait kakie… à deux mains et lui, sur un seul pied.

Une autre soirée extraordinaire.

Toujours au Shôdôkan, un papillon de nuit entre par une fenêtre ouverte, pendant le cours enfants, s'ensuit ce qui arrive partout, les enfants en profitent pour chahuter. Et puis, je vois Ôshiro Yuzuru qui marche lentement, les mains dans le dos, l'air de rien. Et tout d'un coup, il détend le bras, percute le papillon qui s'écrase au sol. Puis Ôshiro se penche, ramasse l'insecte, le pose sur le rebord de la fenêtre et le papillon s'envole.

Une fois par mois, après l'entraînement du dernier vendredi du mois, les yûdansha (personnes qui ont un dan) du shôdôkan se réunissent pour la soirée dans un izakaya (litt. auberge, typiquement japonaise, où il y a du sake). Au début du repas, tout le monde est bien assis en tailleur ou en seiza, puis, la chaleur et la bière (ou autre) aidant, les jambes s'allongent. Ils trouvent très drôle de voir que mes pieds dépassent de la largeur de la table. Commentaire de Shinjô</b> san : "Toi, t'auras pas d'mal à t'trouver une femme, ici…". Discussion, rigolade, l'atmosphère est très détendue (Orion bîru, awamori -sake d'Okinawa- …) et la soirée très agréable.
Ce soir, c'est spécial, en honneur du départ des Argentins, Higa Seikichi a demandé à Sakiyama Sogen (un bonze zen) de venir faire une conférence sur le zen.

Souvent, je rencontre Matayoshi dans le marché de Naha. A chaque fois, il m'invite à boire, ou me propose de venir au dôjô pour discuter à bâtons… pas si rompus que ça, d'ailleurs.

De temps en temps, des visiteurs viennent au kôdôkan (kobudô), et chaque fois, c'est la même rengaine "Tiens, toi qui parles anglais, fais leur un cours débutants, hojo undô…, et pis ça t'f'ras bien du bien, tu reverras les bases". J'aime pas ces soirées là (égoïstement), j'approfondis rien.

Jeudi soir, Matayoshi me dit "samedi, démonstration à Naha matsuri (fête de Naha) tu viens!"
Samedi arrive, je suis incorporé d'office à la démo et je démontre entouré de Gakiya et Ishiki, en redescendant de l'estrade, Matayoshi me dit "après Yogi, t'y vas tout seul".
En rentrant, Ishiki demande à Matayoshi "c'est bien demain dimanche, la séance sanchin?" "Oui, demain. Tu (je) viens aussi." En fait c'est pas sanchin, c'est happoren.

Un soir, Matayoshi me dit qu'une semaine après mon retour en France, lui et trois de ses élèves, Gakiya Yoshiaki, Yamashiro Ken'ichi et Ishiki Hidetada doivent, eux aussi venir en France. A partir de ce jour, on incorpore un kata hakkaku au cours.

Grâce à l'introduction d'une connaissance, j'ai l'opportunité de m'entraîner au dôjô Enbukan de Nakamura Yoshio. Le fils Nakamura, très gentiment, me dit que j'ai suffisamment de kata avec ceux du gôjû et du kobudô, ils me m'enseigneront donc que leurs techniques de déplacements et leurs techniques de frappe, surtout le coup de poing.
A chaque entraînement, les élèves font le kata naihanchi et sont testés par Nakamura.
Les entraînements au Enbukan m'ont permis de découvrir un aspect du karate que je ne connaissais pas encore : le nettoyage du dôjô. A la fin de l'entraînement, Nakamura va chercher un seau d'eau, y fait tremper plusieurs serpillières et s'amuse à nous les lancer dans des directions improbables. Le but du jeu, pour nous, c'est de les attraper au vol et de nettoyer le parquet du dôjô et de les lui renvoyer en lui tournant le dos.
A la fin de chaque entraînement, nous allons tous dîner dans un restaurant. Toujours très prévenant, Nakamura insiste pour que je mange le plus possible. Au cours d'un de ces repas, il est arrivé une anecdote : à la table voisine de la nôtre, un couple avec un très jeune enfant. Le père reconnaissant Nakamura et connaissant la réputation du dôjô, lui demande de prendre le petit dans ses bras. Je voyais bien que Nakamura était un peu embarassé et je ne comprenais pas pourquoi quand un des senpai présent me dit : "tattoo o mita no", (t'as vu les tatouages ?) "yakuza, yakuza o tsukiau no dame" (c'est un yakuza, faut pas fréquenter les yakuza), plus tard, j'apprendrais par le même senpai que le simple fait de parler avec un yakuza est très, très mauvais pour la réputation et que c'est pour cette raison que Nakamura était si distant.

L'avant-veille de mon départ, sayônara party avec le staff du kôdôkan, dans un izakaya, super ambiance et Matayoshi me dit "A dans une semaine, en France… y aura un passage de grade…"

La veille de mon départ, le staff shôdôkan organise une sayônara party, dans un izakaya. Les grands pontes du Kokusai Karate Kobudô Renmei sont au rendez-vous, même certains que je connais mais qui ne s'entraîne pas au shôdôkan, mais qui sont quand même venus. C'est un immense honneur!


Ces deux mois en totale autonomie m'auront appris que la mentalité des Okinawaïens est totalement différente de celle des japonais.

A la fac, j'avais appris un japonais très scolaire et très poli. J'avais aussi appris qu'en japonais, il y a plusieurs niveaux de langage, le très poli, le poli et le neutre (les japonais sont censés ne pas connaître un seul mot d'argot…censés). Les profs m'avaient bien dit que le très poli n'était que peu employé, le poli devait s'employer quasiment tout le temps, hors cercle intime et le neutre uniquement avec les amis. J'avais bien expérimenté ces recommandations au Japon, mais arrivé à Okinawa, le neutre est de rigueur, même avec les sensei, Matayoshi, Higa, Kyûna…

Retour par Tôkyô, je suis obligé d'y passer une nuit, j'en profite pour faire une visite des alentours de l'hôtel. Le lendemain, départ, arrivée à Paris, on est début novembre, il fait gris et froid, entre Paris et Okinawa, il y a une différence de 20°. Le stress revient au grand galop…
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