La deuxième journée du kangeiko débute de bonne heure. Réveil à 6:00 et rendez-vous vingt minutes plus tard devant le ryôkan, simplement en dôgi bien sûr.
La température est légèrement négative et le jour commence tout doucement à poindre. L'ensemble du groupe attend, rangé en colonnes et sous groupes, comme il se doit.
Goda Yûzo Shihan arrive, nous le saluons puis attendons Matsui Shokei Kanchô qui, heureusement ne tarde pas. En effet, nombreux sont ceux qui frissonnent déjà. Le chaud et confortable futon (lit/couette traditionnel) est bien loin. Seuls les enfants et les femmes ont droit à un T-shirt sous le dôgi.
Précédé de sa garde rapprochée, le Kanchô sort sur le perron de l'auberge. Nous exécutons deux rei (saluts) selon les ordres du Senpai nidan qui assume la coordination des entraînements.
Après quelques mots d'encouragement et des attentes exprimées quant à la qualité attendue de notre investissement lors du cours à venir, nous partons en file indienne, toujours dans la semi obscurité, vers le temple principal du Mitsumine.
Nous passons devant ce très beau bâtiment puis nous rangeons par groupes devant le suivant du même complexe, face aux plus hauts gradés.
Le Senpai, après les saluts, lance l'échauffement. Du classique à nouveau, plutôt court, suivi de techniques diverses. Chacune est répétée six fois lentement puis trente fois avec le kiai. Pas besoin d'encouragements car nous avons besoin de nous réchauffer.
L'ordre est immuable: tsuki waza, keri waza, combinaisons variées. Diverses positions sont prises: kibadachi, zenkustsudachi, neko ashidachi, etc.
Au total, nous poursuivons durant quarante cinq minutes au cours desquelles les plus frileux se font houspiller par les Senpai qui leur intiment l'ordre de "se bouger". Pas seulement physiquement d'ailleurs mais aussi - et surtout - psychologiquement.
Le rythme imprimé est rapide et il faut suivre sur un sol inégal, givré par endroits et couvert de gravillons.
La seconde partie du cours, d'une durée de trente minutes, est laissée à la discrétion de chaque capitaine de groupe. Celui auquel j'appartiens travaillera le "nouveau" kata Bassai dai.
Quelques lève tôt, clients de l'auberge, passent devant les groupes. Ils nous observent avec des sourires compatissants et des commentaires sur le froid dans lequel nous pratiquons, aussi peu couverts. Les encouragements prodigués sont sincères et les saluts courtois mutuels.
Nous voici donc à pied d'oeuvre avec le kata.
Oleg, un Russe ikkyû ne parlant que sa langue natale est à la dérive. Déjà bien "accroché" par un Senpai nidan lors de la première partie de l'entraînement, il a droit à une diatribe dont il comprend le sens à défaut des mots. Sa méconnaissance totale du kata est flagrante et c'est vraiment difficile pour lui. Enfin, la bonne volonté aidant, il suit tant bien que mal la progression, encouragé par les autres deshi.
Le Sensei, capitaine de notre groupe, me place devant, aux côtés d'un autre Senpai shôdan qui prépare l'examen du nidan. Nous sommes ceux qui connaissons le mieux Bassai dai et devons servir d'exemple pour les autres membres. Autant dire qu'il ne faut pas faire d'erreur. D'autant que des Shihan et Sensei passent dans les rangs pour corriger les erreurs diverses.
Le rythme est élevé et nous recommençons sans arrêt le kata, dès le salut de fin effectué. Seuls quelques corrections et conseils judicieux nous permettent de reprendre notre souffle. Mais, à nouveau, le temps froid nous pousse à l'activité.
Le second blessé du stage est le Shihan dirigeant l'organisation en Iran. En délicatesse avec un genou, il nous quittera plus tard dans la journée pour rejoindre Tôkyô. Il boîtait déjà bien bas dès le début de cet entraînement matinal. Deux de chute donc.
Le signal de fin est donné et nous nous rangeons de nouveau en lignes bien nettes. C'est alors que l'épreuve la plus redoutable du kangeiko nous attend...J'ai nommé "le temple".
Départ en courant - quelques dizaines de mètres - vers le temple principal du Mitsumine qui est, avant tout, un lieu de pèlerinage Shintô, la religion animiste originelle du Japon.
Tous laissent leurs chaussures au bas des marches et prennent rapidement place à l'intérieur de la bâtisse, conservée dans un état exceptionnel. Egalement exceptionnel est le froid qui règne en ces lieux puisque le temple, ouvert aux quatre vents, reste toutes portes ouvertes quelque soit la saison.
Les plus hauts gradés prennent bien entendu place sur la première ligne, autour du Kanchô, assis au centre.
Mon senpai et moi même nous installons prudemment au fond et à gauche. Nous ne sommes certes pas plus abrités que les autres mais, au moins, il sera plus simple de bouger quelque peu. Car, il faut le dire, les trente minutes de cérémonie paraissent bien longues. La transpiration, maintenant glacée, provenant du cours, se fait bien désagréable sous les karategi.
Quatre prêtres Shintô officient en psalmodiant. Ils se déplacent devant les statues des divinités de temps en temps mais reviennent immanquablement en position seiza...à notre grand regret.
Mon senpai souffre d'un genou et je connais moi même quelques problèmes de santé qui rendent tout cela très inconfortable. Maigre consolation tout de même, les Japonais aussi semblent trouver le temps trop long. Nous en voyons se tortiller, tenter de changer discrètement de position, grimacer...
Le stage est "béni" par le Principal du temple qui nous souhaite la bienvenue et égraine les noms des principaux responsables présents du Kyokushinkaikan.
Une partie du discours est dévolue à Oyama Masutatsu Sôsai, son parcours et ses tribulations au Mitsumine.
Au bout d'une trentaine de minutes donc, la cérémonie prend fin, au grand soulagement de tous. Tanaka Kentarô Senpai, un des meilleurs combattants actuels a bien du mal à se relever, tout comme Kiyama Hitoshi Sensei, ancien champion du monde.
Avant de rentrer à l'auberge, nous nous regroupons devant un petit bâtiment annexe dans lequel pénètre le Principal, accompagné de Matsui Shokei Kanchô. Le petit quart d'heure supplémentaire de cérémonie semble bien long et nous voyons certains Japonais au bord de l'hypothermie. Notamment un Sensei yondan qui grelotte et claque des dents de façon incontrôlable.
Finalement, après un dernier salut et les remerciements aux membres du clergé, nous regagnons enfin l'auberge pour une douche chaude et un petit déjeuner bienvenu que nous appelons de nos voeux.
La suite de cette deuxième journée, bien loin d'être finie, sous peu.