A la "demande générale", voici donc la suite du récit de ce kangeiko.
Tout le groupe rentre dans le ryôkan. Une grande salle de spectacle sera notre dôjô pour ce premier entraînement.
Le plancher, un peu inégal par endroits, est recouvert de moquette mais celle ci ne semble pas trop gênante, du moins à notre avis.
Nous nous plaçons par ordre de grade et je me retrouve sur la troisième ligne, avec mon senpai. Les Shihan et Sensei constituant la première ligne d'une quinzaine de personnes.
Nous sommes environ une quarantaine de ceintures noires mais personne ne joue des coudes pour s'aligner, notamment près du podium où Matsui Shokei Kanchô prendra place pour diriger le cours. Tout se passe "à la japonaise", avec courtoisie et politesse. A grade égal, ceux qui semblent les plus jeunes en âge cèdent tout naturellement la priorité aux plus âgés.
Nous attendons l'arrivée du Directeur monial en nous étirant.
Goda Yûzo Shihan est le premier à nous rejoindre. Après le salut de mise, nous poursuivons notre échauffement dans le silence.
Le groupe des enfants se trouve au fond de la salle, encadré tout au long du stage par un Sensei sandan Américano-Japonais et un Senpai nidan.
Le Kanchô arrive enfin. Tout le monde se redresse, rajuste les dôgi et salue selon l'ordre donné par un assistant Senpai nidan qui officiera dans cette capacité durant tout le stage.
A la demande de Kanchô c'est d'ailleurs lui qui dirige l'échauffement, tout ce qu'il y a de plus classique. Idem pour les étirements et les techniques de base, travaillées selon un ordre quasi immuable au sein des dôjô Kyokushinkaikan.
Matsui Shokei Kanchô prend la parole pour nous souhaiter un bon stage et explique qu'il est blessé. Il se reposera donc sur ses assistants pour démontrer certaines techniques. En fait, depuis quelques années, il est en délicatesse avec ses vertèbres lombaires et ses hanches qui lui interdisent de lever bien haut une jambe. Les longues années de pratique dure et répétitive sont passées par là.
Loin de se contenter de regarder, le Kanchô interrompt l'enchaînement des techniques à plusieurs reprises afin de corriger, soit de façon générale, soit en particulier. Les explications cassent certes le rythme car elles sont conséquentes mais nécessaires et enrichissantes. Il est certain que comprendre le japonais est un avantage indéniable afin d'absorber au mieux ce qui nous est donné.
Le point principal soulevé par Matsui Shokei Kanchô concerne le fait de se concentrer sur chaque technique réalisée au sein d'une série de plusieurs dizaines.
Nous passons ici à la première personne afin de tenter de rendre au mieux les corrections effectuées et les conseils prodigués.
"Chaque mouvement que vous réalisez est unique. Il ne s'agit pas de faire des répétitions sans intérêt ni consistance.
Vous faites trente fois la même technique mais chacune est unique; il ne s'agit pas d'enchaîner sans force, esprit, et volonté.
Il faut penser à ce que vous êtes en train de faire, être vous mêmes le mouvement, y mettre tout ce que vous avez.
Si le rythme est trop élevé faites en moins mais il est alors absolument nécessaire de rechercher le mouvement le plus net et pur possible. Sinon ce n'est pas la peine, mieux vaut faire de la gymnastique dans une salle de sport et ce n'est pas ce que nous enseignons ici.
Oyama Sôsai nous corrigeait ainsi quand j'étais ceinture verte. Il insistait sur la précision du geste. Sans techniques de qualité on n'arrive à rien.
Je veux aussi que vous vous concentriez sur la précision car j'en vois qui frappent n'importe où dans le vide. Quand vous êtes face à un adversaire et que vous le frappez plusieurs fois avec la même technique, vous devez toucher le même endroit si c'est ce que vous avez décidé. Il ne s'agit pas d'envoyer vos poings et vos pieds au hasard en espérant toucher un point sensible."
Matsui Shokei Kanchô corrige alors nommément plusieurs yûdansha nidan et shôdan. Le "OSU" d'acquiescement est bien entendu de rigueur.
Premier blessé du stage, Patrick Fard Sensei, un yondan venant de Californie. Il est responsable du dôjô Power Karate, installé à Manhattan Beach, près de Los Angeles. Venu avec deux assistants shôdan, le Sensei, blessé à une cheville un mois auparavant (entorse), se prend quelque peu les pieds dans la moquette sur une rotation et doit interrompre l'entraînement. Cheville bien enflée il décidera le soir même de quitter le stage, à son grand regret. Venir de si loin et se blesser est bien dommage.
Très classiquement donc, nous enchaînons les techniques de base, bras et jambes.
Le Kanchô poursuivra ses interventions depuis la scène où il est monté, en compagnie de Goda Yûzo Shihan et son assistant nidan. Il réitèrera notamment sa demande concentration sur chaque mouvement exécuté.
"Sans technique correcte vous ne pouvez progresser.
J'étais un combattant chevronné, je préparais les Championnats du Monde en 1987 mais Sôsai me faisait reprendre les bases, comme ce que vous faites aujourd'hui. Comme un débutant.
Si vous ne faites pas l'effort de chercher le mouvement juste vous ne progresserez pas.
Vous croyez que l'endurance, la résistance et la force sont suffisantes pour arriver au plus haut niveau? Pas du tout! La précision du geste et celle sur la cible frappée sont absolument essentielles. Oyama Sôsai était très regardant quant à cet aspect de la pratique.
Concentrez vous et faites un effort. Je sais que c'est difficile, surtout quand vous arrivez en fin de répétition mais il faut absolument essayer."
Lors de ce cours, toutes les répétitions se feront sur trente temps avec le kiai, après six temps sans force.
Les niveaux sont assez disparates pour autant que nous puissions en juger mais toutes et tous tentent d'appliquer les consignes données.
A noter, l'engagement des enfants qui se donnent à fond.
Au bout d'un peu plus de deux heures le cours prend fin et nous sommes invités - après les saluts - à regagner nos chambres puis nous rendre à la salle où nous prendrons les repas. Il nous est rappelé que les horaires doivent être strictement respectés.
Petite déception pour mon senpai et moi même, un entraînement privé doit avoir lieu avant le dîner. Il est réservé aux Japonais et concerne les combattants qui tenteront de se qualifier pour les Championnats du Monde, en novembre prochain.
Malgré deux demandes exprimées en japonais, l'accès à ce cours dévolu au kumite ne nous sera pas accordé. Bien dommage au vu des "pointures" qui s'y rendent avec les protections sous le bras: Kiyama Hitoshi Sensei (ancien champion du monde), Narushima Ryû Sensei, Tanaka Kentarô Sensei, j'en passe et des meilleurs.
Un peu de frustration de notre côté donc mais c'est ainsi et nous nous en accommodons. Notre santé ne s'en portera d'ailleurs pas plus mal.
La troisième partie vous sera proposée très prochainement.