Celles et ceux qui ne maîtrisent pas la la langue de Shakespeare voudront bien excuser le titre en anglais de cet article.
Pour faire simple, dans le contexte que nous allons vous décrire, cela signifie "Tu dois montrer le chemin" plutôt que "Tu dois diriger".
Nous aurions aussi bien pu intituler l'article "Prendre ses responsabilités au dôjô". Car c'est bien de cela que nous souhaitons vous parler.
Comme vous avez pu le lire dans d'autres articles du site, être membre d'un dôjô japonais entraîne certaines obligations et attitudes. Et si cela peut sembler empirique et sans objet de prime abord, pour les Nippons tout s'explique ou, plutôt, se comprend, se ressent. De façon intuitive d'ailleurs, au regard de leurs culture et habitudes. On pourrait même ajouter que le sens civique prévalant au Japon participe de cette idée.
Mais revenons un instant au titre en anglais de l'article.
Si nous l'avons choisi c'est que nous avons entendu cette phrase au dôjô, il y a quelques temps, et que nous y avons réfléchi.
Lors d'un cours à notre Honbu dôjô mondial (centre), le Sensei en charge de l'entraînement nous faisait effectuer des exercices particulièrement difficiles sur le plan technique mais aussi sur le plan physique. Il s'agissait principalement de tobigeri (coups de pied sautés), marche sur les mains et autres "acrobaties".
Au bout d'un certain temps, la plupart des deshi (élèves) se montraient fatigués mais aussi découragés. L'exercice consistant à frapper une petite balle pendant au bout d'un fil attaché au plafond devenait vraiment pénible car seuls les plus légers et agiles d'entre nous arrivaient à frapper à plus de deux mètres. Les autres ne pouvaient que soupirer et secouer la tête; j'en faisais partie.
Sentant la motivation émoussée le Sensei s'adressa à la première ligne constituée de quatre Senpai, en nous "réveillant" énergiquement. Plus particulièrement il me dit en anglais ce fameux "You have to lead!".
S'ensuivit une explication dont nous souhaitons vous livrer les points importants.
Tout le monde salua et nous marquâmes une pause bienvenue. Du moins sur le plan physique car, comme rien ne se perd au dôjô, cette explication impromptue revêtait une signification essentielle et demandait donc de l'attention mentale.
Le Sensei adressa prioritairement ses paroles aux anciens en appuyant sur notre responsabilité envers les kohai ("jeunes"), en tant que senpai ("anciens") donc. Nous devons montrer l'exemple. Cela signifie que l'on ne doit pas faire état de découragement et ne jamais abandonner, surtout psychologiquement. Le physique ne faisant que suivre l'esprit.
Dans le cas contraire, que feront alors les kohai? Ils regarderont leurs senpai et se laisseront aller, tout comme eux. Ils s'écouteront et ne chercheront plus à se dépasser. La complaisance ne fait pas bon ménage avec la progression en budô.
La responsabilité induite des anciens est donc très importante, il leur revient de faire vivre le dôjô et, surtout, le groupe. Notion essentielle au Japon, pas uniquement dans le domaine des Arts Martiaux d'ailleurs.
Loin de jouer les "maîtres omnipotents", les senpai (quelque soit leur grade) se doivent de motiver les deshi moins avancés. Cela se fait, bien entendu, par l'exemple, mais aussi par la parole et les gestes. Il ne faut jamais hésiter à encourager et conseiller de façon positive. Les pratiquants Japonais le savent bien mais, parfois, un rappel est nécessaire.
C'est dans les moments difficiles, quand la fatigue devient véritablement oppressante, que les membres du groupe doivent travailler ensemble et se remotiver. A ce titre, les entraînements les plus durs sur le plan physique sont l'occasion d'être soudés et montrer que la notion d'émulation prend tout son sens.
Le kangeikô (entraînement d'hiver généralement organisé dans la nature) reste peut être le meilleur moment pour exprimer des qualités de solidarité, de volonté et de partage pour les pratiquants.
Voilà donc, en substance, la teneur des paroles du Sensei qui nous remit ainsi "en selle" pour le reste du cours. Les effets furent immédiats et positifs. La quinzaine d'élèves présents ce soir là reprit du coeur à l'ouvrage et les encouragements fusèrent pour tous. S'il n'y eût pas de miracle sur le plan physique, la motivation fût contagieuse et contribua à permettre de se dépasser. Aller ne serait-ce même qu'un tout petit peu plus loin est déjà une victoire en soi.
Tout cela passe donc par les anciens qui doivent montrer le chemin aux autres comme en leur temps leurs propres senpai l'ont fait.
L'erreur que nous autres, anciens, avions commise lors de cet entraînement était de nous centrer sur notre fatigue, nos douleurs, notre démotivation, de trop nous écouter tout en oubliant le groupe.
Nous avions effacé de notre esprit la signification profonde des saluts partagés qui ne sont pas qu'une gestuelle dénuée de sens. Avant l'intervention du Sensei nous ne pensions qu'à la fin des exercices de façon quelque peu égoïste. Ses paroles nous ont éveillé.
Nous restons bien sûr conscients que ce type de valeur correspond plus à la société japonaise et à un certain état d'esprit mais le karatedô permet aux étrangers d'atteindre cette idée.
A nouveau, il ne s'agit pas de chercher une imitation vide de sens mais de comprendre et s'adapter pour enfin adhérer à une idée importante pour tous, kohai et senpai.
Il faut y réfléchir et mûrir ces notions afin de pouvoir donner au dôjô, qui n'est pas un lieu de consommation mais d'apprentissage, où l'échange est une base à ne pas négliger. Savoir rendre un peu de ce que l'on reçoit au dôjô est, à note humble avis, un signe d'éveil et de compréhension prouvant que l'on est sur le bon chemin.
Tous les membres du groupe ont un rôle à jouer. C'est du moins ainsi que fonctionne le karatedô au Japon.
Point de moralisation dans tout ce qui précède mais, plus simplement, une façon d'appréhender la pratique martiale à l'aune de l'état d'esprit régnant dans les dôjô japonais.