Lors d'un déplacement professionnel en Inde, dans la salle de sport d'un hôtel de Bangalore, nous avons fortuitement rencontré un autre client, attiré par notre T-shirt orné d'idéogrammes japonais.
Monsieur Harada Kenji, ingénieur du son état mais aussi marathonien à ses heures perdues et, surtout, pratiquant de Gôjû ryû karatedô s'est adressé à nous, entre l'utilisation de deux machines de musculation.
Parlant un bon anglais, cet employé du service informatique de Mitsubishi, content de voir que nous avions quelques connaissances en japonais, engagea alors la conversation.
Nous nous retrouvâmes ensuite, par hasard, à l'entrée d'un des restaurants de l'hôtel et décidâmes de dîner ensemble. Ce fut l'occasion de tenir une conversation informelle avec le karatedô pour sujet principal.
Nous vous en livrons ici les points nous semblant les plus intéressants.
- kj: "Pratiquez vous depuis longtemps Harada san?"
- H.K.: "Environ 25 ans. J'ai commencé à Ôsaka quand j'avais seize ans."
- kj: "Quelle Ecole était-ce?"
- H.K.: "C'était un petit dôjô Gôjû ryû de mon quartier, près du lycée.
Je jouais au baseball mais je ne sais plus trop pourquoi mes parents m'ont inscrit là...à cause des manga!"
- kj: "Vous n'avez jamais lâché, malgré les études et le travail?"
- H.K.: "Non mais j'ai eu de la chance. En fait je suis resté dans le Kansai à l'université et j'ai trouvé du travail près de chez moi. C'est rare pour un Japonais, vous savez. Du coup j'ai continué dans la même dôjô jusqu'à mon départ pour Okinawa."
- kj: "Vous vous entraîniez beaucoup?"
- H.K.: "Deux ou trois fois par semaine."
- kj: "Et votre départ pour Okinawa?"
- H.K.: "Là encore j'ai eu de la chance. Après ma première affectation dans le Kansai j'ai été muté dans notre branche de Naha. Okinawa c'était vraiment bien pour la plage et l'ambiance. J'ai beaucoup aimé, très cool avec une vie tranquille. Moins stressant qu'avant à tous les niveaux. Et j'ai vite trouvé un autre dôjô, proche de nos bureaux. Du coup j'ai commencé à y aller deux fois par semaine et parfois une fois de plus le weekend."
- kj: "C'était différent de ce que vous connaissiez?"
- H.K.: "Complètement! En fait je suis tombé par hasard sur le dôjô et j'ai reconnu les idéogrammes de Gôjû mais c'était différent. C'est un autre groupe avec une autre filiation. Les kata se ressemblent beaucoup mais c'est surtout la façon de faire qui est différente."
- kj: "Différente de quelle façon?"
- H.K.: "La façon de pratiquer je veux dire. Au Japon c'était toujours la même chose: kihon, kata et kumite. Même l'échauffement et le stretching étaient toujours formatés. Et puis on travaillait toujours en ligne. A Okinawa, c'était plus relax. Je veux dire qu'on travaillait sérieusement mais dans une ambiance différente. C'est plus décontracté, moins formel. Ca correspond à l'état d'esprit des gens qui vivent ici."
- kj: "Avez-vous des exemples?"
- H.K.: "La principale différence, en dehors du style habituel des Okinawaïens, c'est la façon de pratiquer. Le dôjô était tout petit donc peu évident pour travailler en ligne, tous ensemble. Gibo Sensei prenait chaque élève à part et faisait travailler des points précis. Moi ça m'a permis de progresser plus facilement grâce à cette individualisation.
Au début c'est surprenant mais j'aime bien cette façon de faire. C'est la tradition de la branche okinawaïenne de l'Ecole."
- kj: "Etes-vous resté longtemps à Naha?"
- H.K.: "Deux ans, le temps d'avoir une nouvelle affectation dans la Kansai.
C'était une bonne expérience et j'ai appris beaucoup. Même si j'étais un peu perdu avec les kata, surtout au début, j'ai vu de nouvelles choses comme la musculation traditionnelle avec des pots en terre et des objets en fer. Et puis j'ai bien aimé les relations détendues entre les deshi et le Sensei. En plus, les liens sont forts entre les membres, on se voit pour boire et manger plus facilement qu'au Japon. Mais il est vrai qu'on est plus occupés là bas."
- H.K.: "Avez-vous noté d'autres spécificités avec cette branche d'Okinawa?"
- H.K.: "Oui, sur le plan de l'énergie.
Au début c'était assez dur pour moi à cause de la chaleur. Je transpirais beaucoup et j'étais vite fatigué. Alors le sensei nous a fait travailler des exercices pour faire monter l'énergie. J'ai encore plus transpiré! Mais je n'avais jamais pratiqué comme ça à Ôsaka et j'ai senti des effets positifs assez rapidement sur ma santé. Malgré la chaleur j'ai continué à courir à Okinawa et ces exercices m'ont permis de mieux gérer mes capacités sur de longues distances comme les semi marathons. Depuis mon retour j'ai de nouveau couru des marathons au Japon même.
Sinon, pour les élèves avancés il y avait des exercices pour faire jaillir l'énergie sur une technique. Je crois que c'est d'origine chinoise d'après les anciens. J'ai un peu essayé ce genre d'exercices et c'est impressionnant. Ca sert aussi pour protéger les organes en cas de combat; j'ai vu des deshi recevoir des coups vraiment violents sans bouger. Vraiment impressionnant!"
- kj: "D'autres différences?"
- H.K.: "Je crois que les positions sont plus basses à Okinawa. Aussi, en kumite, les Okinawaïens adoptent des positions plus stables. Pas beaucoup de sauts mais plutôt des explosions sur quelques techniques.
La différence vient aussi, je pense, du travail mains ouvertes, moins important quand j'étais au dôjô d'Ôsaka."
- kj: "Vous parlez de pique des doigts, revers de main...?"
- H.K. "Oui, c'est ça. A Okinawa on frappe moins poing fermé. Ca aussi ça vient de Chine. C'est pour ça qu'on fait beaucoup d'exercices de renforcement avec les pots en terre cuite."
- kj: "Et le makiwara?"
- H.K.: "J'ai commencé à Okinawa. C'était aussi un exercice fréquent, à chaque cours. Je ne suis pas spécialiste et je ne voulais pas me déformer les mains mais c'est un très bon exercice. Ca permet de corriger les erreurs faites dans le vide, c'est très important. Au dôjô il y avait des gens très forts qui frappaient avec une grande énergie. Parfois on travaillait de longues séries mais à d'autres moments on essayait de faire jaillir l'énergie sur peu de coups de poing. Les deux façons sont très difficiles à ressentir. On essayait aussi avec les pieds, généralement en maegeri mais là ça devient vraiment très dur. Il faut réaliser la technique et se concentrer sur l'impact. Difficile ça..."
- kj: "Avez-vous poursuivi la pratique à votre retour sur Ôsaka?"
- H.K.: "Oui car je suis revenu à notre branche où je travaillais avant. Ca m'a permis de reprendre au même dôjô."
- kj: "Au global, avez-vous une préférence?"
- H.K.: "Maintenant je suis certain que les deux façons sont complémentaires. Disons que je suis passé à une autre étape avec le travail de l'énergie à Okinawa mais je me rends compte que les deshi avancés au Japon même travaillent aussi cet aspect.
Bon...il est vrai que j'apprécie la façon d'enseigner individualisée à Okinawa mais c'est moins facile de faire comme ça ailleurs.
J'ai plus d'ancienneté alors je touche à de nouveaux domaines et je crois vraiment qu'à haut niveau on retrouve les mêmes choses.
A Okinawa j'ai l'impression que c'est aussi la façon d'appréhender la pratique qui diffère. les gens sont plus détendus, moins formels. Ca permet peut être de progresser mieux. Vous savez, au Japon, le karate c'est comme les exercices militaires, pas à Okinawa. Et puis avoir des corrections et un travail individuels ça change tout mais, il est vrai, que nous n'étions jamais plus d''une douzaine au dôjô."
- kj: "Quel est votre grade actuel?"
- H.K.: "Je suis nidan et mon Sensei actuel voudrait que je prépare l'examen suivant. Malheureusement, j'ai beaucoup de travail et je rate trop de cours. Alors je ne sais pas."
- kj: "Avez-vous parlé de ce que vous aviez fait à Okinawa à votre Sensei d'Ôsaka?"
- H.K.: "Un peu mais c'est à lui de voir et décider ce que nous faisons au dôjô.
Je crois que, petit à petit, sans pratiquer de la même façon, je vais retrouver des exercices comme à OKinawa. Dans un contexte différent et avec des méthodes différentes. Je sais que Maître Yamaguchi, le premier soke était très fort au niveau de l'énergie dégagée. J'ai vu des vidéos et des photos; c'est impressionnant. Ses fils sont très forts aussi. Après ça dépend du niveau de chacun et ce qu'on y met. Comme je vous l'ai dit, je n'ai pas vraiment le temps de m'investir mais j'espère quand même approfondir cette recherche sur l'énergie au fur et à mesure."
Nous espérons que cette conversation et les réponses de Monsieur Harada Kenji à nos questions vous auront intéressées.
Nous remercions sincèrement notre interlocuteur et restons seul responsable des erreurs de traduction et interprétation éventuelles de cette conversation menée à parts égales en japonais et en anglais.