Le mois dernier, au Honbu dôjô Kyokushinkaikan, situé à Tôkyô, nous avons participé au cours du dimanche après midi, dirigé par Sakakibara Shihan. Cet entraînement a été mis en place l'année dernière et reste, théoriquement du moins, réservé aux pratiquants âgés de plus de quarante cinq ans. Dans la pratique on y trouve des personnes plus jeunes car la popularité du Shihan est grande au Japon.
Charisme, sourire permanent et bienveillance sont les traits les plus marquants chez ce "Maître de l'ombre".
A l'issue du cours, Sakakibara Shihan a accepté de répondre à nos questions. Nous vous offrons donc ici les passages nous semblant les plus pertinents et intéressants de notre conversation.
- kj: "Shihan, nombreux sont les pratiquants qui veulent participer à vos cours mais on trouve peu de ressources vous concernant sur le net ou dans la presse papier..."
- S. S.: (rires du Shihan) "Oui mais je ne cherche pas à devenir célèbre. Je suis trop vieux pour ça, j'ai bientôt quatre vingt cinq ans et je n'attends rien."
- kj: "Vous êtes septième dan et un des premiers élèves d'Oyama Masutatsu Sôsai. Pouvez vous nous parler de vos débuts et ceux du Kyokushinkaikan?"
- S. S.: "Je suis effectivement un des tous premiers deshi de Sôsai. J'étais là quand il a fondé le Kyokushinkaikan et même avant, vers 1955 je crois. Nous étions alors très jeunes mais il était déjà très motivé et très fort. Il avait peu d'élèves, ce qui n'est guère surprenant car il était inconnu et la dureté des entraînements rebutait de nombreuses personnes."
- kj: "A propos des débuts, avez vous vu le film Fighter in the wind qui traite justement de ce sujet?"
- S. S.: "Je n'ai pas été le voir mais on m'a offert le DVD. C'est plutôt amusant et surtout très romancé. Sôsai avait plus d'humour que le personnage dans le film. Nous nous entraînions très durement mais nous savions aussi rire.
Je crois que le film joue trop sur ses origines coréennes. A mon âge je peux dire ce que je veux et il n'y a plus beaucoup de monde pour me contredire. Pour moi il était Japonais avant tout et les autres Ecoles ne nous ont pas ennuyés outre mesure. Ca reste un film de fiction avant tout et Sôsai pensait plus à créer et développer le Kyokushinkaikan qu'à se battre. De plus il ne faut pas oublier qu'il était l'élève de Yamaguchi Sensei, assez excentrique lui aussi, mais Japonais d'abord. Tout cela étant dit, nous avons connu quelques bagarres mémorables; nous étions bien jeunes il faut dire..." (rires du [i]Shihan)
- kj: "Votre cours a été mis en place récemment. Pourquoi ne pas avoir enseigné plus tôt au Honbu dôjô?"
- S. S.: "J'ai dirigé beaucoup de cours dans ma vie mais, en effet, plus depuis longtemps au Honbu. J'ai eu une vie bien remplie et j'étais très occupé. Maintenant j'ai cessé toutes mes activités professionnelles et ma famille n'a plus vraiment besoin de moi. Alors quand Kanchô m'a proposé de donner ce cours, différent des autres, j'ai accepté. Ca m'occupe et puis il faut assurer la transmission. Je crois que Sôsai aurait été d'accord."
- kj : "En quoi ce cours est-il différent des autres?"
- S. S.: "Comme vous avez pu le voir, j'enseigne le dentou karate. Il y a un temps pour tout et les jeunes Instructeurs sont mieux placés que moi pour diffuser un karate qui possède un aspect sportif. Ils sont tous très efficaces dans leur enseignement car ils ont compris ce qu'est le véritable karatedô. Je suis très content de voir ce qu'ils font ici. Pour ma part, certainement à cause de mon âge avancé, je donne des clés afin de pouvoir continuer la pratique, même pour les moins jeunes. Tout le monde ne peut pas lever la jambe au niveau de la tête et le Kyokushin karate offre des solutions pour tous. C'est la raison pour laquelle j'enseigne des techniques de base qui proviennent des origines, à Okinawa. Sôsai nous parlait souvent de ces origines et de l'efficacité exceptionnelle des personnes âgées à Okinawa. Ils nous expliquait aussi toute la mécanique du corps qui permet de développer une puissance incroyable sur une seule technique. Alors, les coups de coude, de genou, de tête, ainsi que les saisies et les piques des doigts sont ce qu'il faut privilégier. Je suis content de voir des jeunes venir à mon cours."
- kj: "Avez vous enseigné à des étrangers?"
- S. S.: "Oui mais seulement au Japon ou lors de voyages avec Sôsai.
Je me souviens d'ailleurs de votre Shihan. Jacques san était jeune et bon élève. Pas un gros gabarit mais courageux. Je sais que Sôsai l'appréciait beaucoup. Je l'ai souvent croisé au Honbu dôjô et je suis heureux de savoir qu'il continue à enseigner. Vous avez la chance d'avoir un Shihan formé ici.
Japonais ou étranger, peu m'importe. J'essaye de faire profiter tous ceux qui le souhaitent de mon expérience. Je n'ai pas d'autre ambition à ce point de ma vie."
- kj: "Comment était Oyama Masutatsu Sôsai en tant qu'homme et que professeur?"
- S. S.: "Un homme simple, moins compliqué que certains l'imaginent. Il était attentionné avec tous ses deshi, ce qui est la caractéristique d'un bon professeur. Il ne disait parfois rien mais il observait beaucoup et se tenait au courant des progrès de chacun. Si un élève assidu et sérieux avait un problème, il essayait d'intervenir, généralement en toute discrétion, pour l'aider. Il trouvait du travail pour certains et se montrait généreux en toutes choses.
L'ayant côtoyé sur plusieurs décennies, je l'ai vu évoluer. Il est devenu progressivement plus serein, surtout à la fin des années soixante quand tout était en place au niveau du Kyokushinkaikan.
Il s'est toujours attaché à transmettre ses connaissances et était fier de la réussite de ses élèves, pas de la sienne."
- kj: "Je ne voudrais pas me montrer indiscret et encore moins insolent mais on a parlé de liens avec les yakuza. Pourriez-vous nous en parler quelque peu?"
- S. S.: "Je connais ces histoires et je peux affirmer que ceux qui en parlent ne connaissent généralement pas grand chose à ce sujet. Je sais qu'au Japon le sujet est rarement abordé mais j'ai le privilège de l'âge et personne ne viendra me reprocher mes propos. Qui plus est, il est bon que ce soit un étranger qui me pose la question et diffuse mes réponses à d'autres étrangers.
Soyons donc clairs. Dès les débuts des yakuza sont venus nous rejoindre. C'était logique car ce qu'on appelait alors l'Oyama karate bénéficiait d'une réputation de puissance et d'efficacité inégalées. Sôsai acceptait tout le monde sauf les fauteurs de trouble et les criminels avérés. Il ne faut surtout pas croire que le dôjô était un repère de yakuza comme j'ai pu lire dans un article écrit dans les années 80. C'était dans un magazine américain et, comme pour le film dont vous parliez, l'exagération était de mise.
Vous savez, Sôsai tenait à la réputation d'intégrité de son organisation. Il ne faut non plus oublier que les autres Ecoles de karate, ou d'autres budô d'ailleurs, comptaient aussi des maffieux dans leurs rangs.
Sans entrer dans les détails, pour conclure le sujet, je précise que Sôsai a expulsé ou refusé plusieurs fois des yakuza. On en trouve toujours aujourd'hui, chez nous et ailleurs, en nombre réduit."
- kj: "Votre cours est normalement réservé aux élèves de plus de quarante cinq ans mais vous acceptez les deshi plus jeunes..."
- S. S.: "Je ne refuse pas les plus jeunes. Ils semblent trouver du plaisir à suivre mon enseignement alors j'accepte tout le monde. Je suis content de transmettre à tous et de voir les plus jeunes intéressés par le dentou karate, pas seulement les tournois. Ca leur permet aussi de plonger plus profondément dans l'étude des kata et la signification des mouvements. C'est très important. Il faut savoir rechercher les origines okinawaïennes et même chinoises de notre pratique."
- kj: "Je crois savoir que vous n'occupez aucune fonction au Comité Directeur de l'IKO, malgré votre expérience indéniable et votre passé commun avec le fondateur. Pour quelles raisons?"
- S. S.: "Je ne demande ni ne cherche rien. Je laisse la partie organisation aux autres. Je ne suis qu'un simple retraité, heureux de transmettre ses connaissances, elles mêmes issues de ce que Sôsai m'a inculqué. Le reste n'a pas d'importance pour moi. Je ne sais pas combien de temps encore je serai parmi vous donc je ne perds pas d'énergie avec des tâches administratives. Mon souhait est simplement de transmettre l'héritage de Sôsai et le partager."
- kj: "Pratiquez vous le taikiken de Sawai Kenichi Sensei?"
- S. S.: (rires du Shihan) "Oui, je vous ai vu effectuer des mouvements de taikiken avant le début du cours. Continuez comme ça, vous progresserez. C'est très difficile. Je ne suis pas doué mais je pratique depuis longtemps car Sôsai m'a emmené plusieurs fois à des entraînements privés avec Sawai Sensei, dans les années soixante dix notamment. Au total ça doit bien faire une quarantaine d'années maintenant mais toujours en plus du karatedô. C'est déjà assez difficile comme ça." (nouveaux rires du Shihan)
Nous remercions chaleureusement Sakakibara Shihan pour le temps qu'il a bien voulu consacrer à cette conversation.
Nous restons seul responsable d'éventuelles erreurs de traduction ou d'interprétation lors de cet entretien conduit en japonais et en anglais, dans les proportions de 75% et 25%.