Au mois de décembre dernier, tout récemment donc, une délégation du Kyokushinkaikan s'est rendue dans la capitale sud coréenne afin d'animer une série de stages et tenter s'implanter dans la péninsule.
Cette idée avait longuement mûri dans l'esprit des responsables de la principale organisation représentant le Kyokushin karate. Et on peut les comprendre, pour les raisons qui suivent.
Un peu d'histoire avant tout pour cerner la situation.
Oyama Masutatsu Sôsai, fondateur de la Kyokushinkai, icône du karate au niveau mondial, n'était pas retourné dans le pays qui l'a vu naître à la fin de la guerre. Il y a néanmoins dirigé des stages dans les années 60 et 70. Devenu "plus Japonais que les Japonais" il s'était attiré de solides inimitiés chez ses anciens compatriotes, certains mêmes menaçant de le faire fusiller s'il revenait, dans les années 1960, pour collaboration avec l'envahisseur nippon!
Néanmoins le temps ayant passé on pouvait espérer un adoucissement des positions décrites. Qui plus est la conjoncture se montrait favorable.
Le film "Fighter in the wind", (très) libre biopic du Maître disparu en 1994, avait relativement bien marché au Japon et connu un succès d'estime en Corée du Sud. Les ventes et locations de DVD connaissant même un pic intéressant dans l'archipel en 2006.
Si on ajoute à cela le fait que l'actuel responsable du Kyokushinkaikan, Matsui Shokei Kanchô, également de souche coréenne, bénéficiait d'une image d'homme nouveau tout auréolé des succès expansionnistes de son Ecole, il était légitime de penser à une implantation chez le voisin Coréen.
Le Pays du matin clair (ou "calme", c'est selon) restait bien entendu une chasse gardée du taekwondo et autres hapkido, tangsoodo, etc.
Malgré tout le premier cité doit en partie sa forme actuelle aux instructeurs Japonais animant les dôjô installés lors de l'occupation et la colonisation. Il s'agissait alors principalement d'officiers de marine tenant de la Shotokan ryû.
Inutile de chercher trop de témoignages sur le sujet, tabou au Japon et bien entendu réfuté par les Coréens, fiers de l'authenticité de leurs Arts Martiaux.
Quoiqu'il en soit ces dôjô ont bien existé et prospéré, essentiellement de la fin des années 1930 jusqu'en 1944.
Pour préparer le voyage en Corée du Sud dans les meilleures conditions, le Kyokushinkaikan s'était entouré de solides garanties.
La délégation était conduite par Yasuda Toshio Sensei, un homme plutôt jeune et compétent, yondan depuis l'année dernière.
Hormis les qualités reconnues de cet enseignant, le choix s'est porté sur lui en tant que responsable de l'Ôsaka chûo shibu dôjô, Honbu pour la région du Kansai (triangle Ôsaka, Kyôto, Kôbe).
Son dôjô étant fréquenté par plusieurs étrangers et comptant même un Instructeur Sud Coréen expatrié, la décision était logique.
De plus, un membre Néerlandais du dôjô, officier consulaire à Ôsaka était partie prenante. Grâce à ses relations la délégation bénéficiait de la logistique et d'aides diverses fournies par le Consulat des Pays Bas à Séoul, le tout coordonné par un autre officier consulaire en poste dans la péninsule.
Ce dernier (non pratiquant d'ailleurs), en étroite collaboration avec le Kyokushinkaikan, s'était occupé de réserver une annexe du Kukkiwon, centre mondial du taekwondo bénéficiant d'une très belle infrastructure où ont lieu les plus grandes démonstrations en Corée du Sud.
Le programme était le suivant:
- Démonstration (kata, kumite et tameshiwari le soir de l'arrivée, un lundi.
- Stages quotidiens du mardi au jeudi inclus.
- Ouverture officielle d'un dôjô le vendredi sous le haut patronage de l'équivalent du Ministère des sports coréen. Retour au Japon dans la foulée.
Une campagne d'affichage avait même été organisée dans la capitale sud coréenne afin de drainer le maximum de monde et marquer ainsi le début d'une implantation réussie.
La délégation, forte d'une dizaine de membres, débarque donc par un matin glacial de décembre à l'aéroport international de Séoul-Incheon.
Glacial en effet car une première douche froide attendait nos amis Nippons et Néerlandais. Le représentant du Ministère des sports supposé accueillir la délégation était introuvable et injoignable.
A leur arrivée à l'hôtel, les karateka apprennent - par un message laconique - que la salle réservée pour la démonstration et les stages n'est plus disponible.
L'incrédulité et la panique passées, grâce à l'aide du Consulat des Pays Bas, une solution est trouvée afin d'obtenir malgré tout un local, plus petit mais toujours dans le complexe du Kukkiwon.
Autre problème, les affiches annonçant le programme ont toutes été retirées des rues de Séoul, du moins celles qui ont été effectivement placardées.
Enfin, confirmant les idées de "torpillage" concerté, le site Internet permettant de s'inscrire aux stages et présentant la Kyokushinkai, ouvert pour l'occasion et sous-traité à une société sud coréenne, n'est plus accessible depuis plusieurs jours. Les données sont perdues donc plus de listes, plus de contacts.
La démonstration du soir a bien eu lieu...devant quelques dizaines de personnes dont une majorité de Japonais expatriés et quelques rares curieux locaux. Grosse déception donc.
En fait de série de stage, seul le premier a bien eu lieu mais n'a rassemblé qu'une trentaine de personnes...membres de la délégation inclus.
Un camouflet majeur pour l'organisation japonaise.
Les autorités sud coréennes ne purent jamais être contactées et le voyage s'en trouva écourté fort logiquement.
Le temps de changer les réservations et nos malheureux karateka reprirent l'avion de Japan Airlines en direction d'Ôsaka dès le mercredi matin.
L'opération s'est donc soldée par un échec cuisant auquel on peut évidemment associer un Ministère des sports sud coréen protégeant jalousement son territoire.
L'opération de "destruction" était parfaitement orchestrée et réalisée.
Le karate n'est donc toujours pas solidement implantée en Corée du Sud à l'inverse du taekwondo au Japon.
Aucune autre tentative n'est pour le moment envisagée et il s'agit surtout d'oublier ce triste épisode.
Le Japon n'étant pas particulièrement réputé pour sa transparence dans certains domaines, la ligne officielle est celle du mutisme.
Cherchez dans les colonnes de World Karate, organe de presse du Kyokushinkaikan, ou sur le site officiel (en japonais) de l'organisation nippone et vous ne trouverez aucune trace de l'aventure.
Il est d'ailleurs à noter que le Honbu dôjô mondial avait délégué celui du Kansai avec toute la liberté voulue dans cette opération. Quelque peu surprenant pour une organisation aussi centralisée; une précaution prémonitoire d'un échec possible?
Quoiqu'il en soit au Honbu dôjô du Kansai personne ne parle de l'affaire si ce n'est "off the record" et...après quelques verres.