par karatejapon » Mer Août 23, 2017 2:24 pm
Le site en japonais Yahoo News a publié voici cinq jours un entretien exclusif avec Kikuko, troisième fille de Chiyako et Oyama Masutatsu Sôsai.
Au delà de souvenirs concernant son père et l'ensemble de la famille Oyama, une large partie de la conversation est consacrée à une révélation étonnante. L'Association de l'Ultime Vérité (traduction littérale de "Kyokushinkai") a bien failli ne jamais exister.
Selon Kikuko, son père a évoqué, au sein du cercle familial restreint, dès les années 1970, une anecdote dont il n'a jamais souhaité parler en public. Nous vous proposons aujourd'hui la traduction des points essentiels de cette affaire qui a changé le cours de l'histoire du karate mondial et remonte au debut des années 1960.
"Comme vous le savez, mon père a effectué une tournée de plusieurs mois aux Etats Unis lors de laquelle il a été confronté à des catcheurs ainsi qu'à des boxeurs de seconde zone. Comme il nous l'a expliqué dans les années 1970, il s'agissait de faire la promotion de son karate et ce qui allait devenir l'œuvre de sa vie. Il voulait absolument développer la Kyokushinkai jusqu'à en faire l'égale des plus grandes Ecoles de karate. Bien entendu, il s'agissait de combats d'exhibition dont les Américains et les Japonais étaient alors friands. Néanmoins mon père a impressionné les médias locaux et cette tournée a connu un écho relativement important au Japon même si, à cette époque, les moyens de communication étaient essentiellement constitués des journaux, la télévision ne venant que bien loin derrière. Le surnom de God's Hand a été créé par la presse américaine. Ce n'est pas mon père qui a inventé ce terme malgré ce que certains croient.
A son retour au Japon, il a été contacté par un émissaire de Sasakawa Ryôichi. Cet homme célèbre avait été condamné à mort par les autorités américaines à la fin de la guerre mais il avait été libéré pour des raisons troubles. On a appris plus tard que les services secrets américains l'utilisaient pour lutter contre le communisme au Japon et en Asie. Il connaissait mon père car celui ci, encore jeune à ce moment là, était garde du corps et protégeait certains vendeurs au marché noir. C'était l'extrême droite dont Sasakawa Ryôichi est devenu l'homme le plus important qui organisait tous les trafics. Mon père était un homme bon mais il fallait survivre à la fin des années quarante vous savez...Il nous a dit qu'une chose terrible lui faisait peur. Il craignait de mourir de faim et, pire encore, de voir sa famille mourir de cette façon. Je n'ai pas connu ça mais dans l'immédiat après guerre la nourriture était rare dans certains endroits.
Mon père travaillait donc aux côtés des gros bras de l'extrême droite mais dès que cela lui a été possible, il a quitté ces endroits puis s'est consacré au karate.
Au moment de la création du Kyokushinkaikan, monsieur Sasakawa a fait pression sur lui pour qu'il vende le nom Kyokushinkai. Il faut savoir que cet homme est à l'origine de la Japan Karate Federation et aussi de la World Karate Federation. Il était très riche, un des hommes parmi les plus riches du Japon. Son influence a été considérable jusqu'à sa mort en 1995. Les gens ont oublié son passé et il est devenu l'ami des hommes puissants. Il a été pris en photo avec le Pape Jean-Paul II et le Président Ronald Reagan.
Il a essayé d'acheter mon père pour la somme de 3,5 millions de yen, ce qui était énorme à l'époque.
Sasakawa Ryôichi est connu comme un grand philanthrope mais son but était tout autre. Il voulait faire disparaître l'Ecole de mon père afin d'obtenir la suprématie totale sur le monde du karate au Japon. Comprenez que ses amis qui avaient échappé comme lui au peloton d'exécution étaient souvent d'anciens officiers qui pratiquaient le karatedô de Funakoshi Sensei. Ce sont eux qui ont créé la Nihon Karate Kyoukai. Monsieur Sasakawa était un grand visionnaire, il avait compris que les budô japonais allaient être diffusés partout dans le monde. Comme il s'était donné une image d'homme de paix, il espérait donner une vision positive des Arts Martiaux japonais et ne voulait pas que le jissen karate se développe. C'est la raison pour laquelle il a voulu acheter la Kyokushinkai, lui faire intégrer la JKF et ainsi la diluer jusqu'à la faire totalement disparaître. Mon père a compris ce qui se passait et a refusé d'accepter malgré les pressions exercées.
Je voudrais préciser que contrairement aux affirmations de certaines personnes qui prétendent savoir, nous n'avons jamais été riches. Je sais que le karate est devenu ensuite une sorte d'industrie mais le but de mon père n'a jamais été de gagner énormément d'argent. Il aurait pu accepter la somme considérable qui lui était offerte mais il a refusé car il croyait en ce qu'il devait faire. Il était intègre et courageux.
Je veux aussi dire que les gens affirmant que le Kyokushinkaikan était un repère de l'extrême-droite japonaise et des yakuza des années 1960 font totalement fausse route. Il y avait des bagarres violentes dans les universités mais mon père ne voulait pas que ses élèves y participent. Il avait interdit que certains se servent de leurs capacités en combat pour attaquer les étudiants qui manifestaient ou les ouvriers syndiqués. Comprenez que mon père était très traditionnaliste, il appréciait l'ordre établi et la pensée confucianiste mais il ne voulait pas que le karate serve à agresser les gens, même si on était en désaccord. Il disait à ses élèves de se défendre totalement en cas d'attaque contre eux ou leurs proches mais il en a exclus plusieurs qui faisaient partie des groupes obéissant aux ordres de Monsieur Sasakawa. La réputation de droiture du Kyokushinkai karate était essentielle à ses yeux.
Si mon père n'avait pas résisté durant les premières années la Kyokushinkai n'aurait jamais existé et l'ensemble du jissen karate non plus. C'est grâce à lui que tous ces groupes sont aujourd'hui connus. Comme il s'est toujours montré discret sur les troubles de cette période, peu de gens savent réellement ce qu'il en était.
A ma connaissance, en dehors de notre famille, mon père a raconté tout ce qui s'est passé à Monsieur Rôyama Hatsuo car ils étaient proches. Le karate actuel serait complètement différent sans l'attitude de mon père qui a toujours refusé de vendre son Ecole au début des années 1960."
Nous restons seul responsable des éventuelles erreurs de traduction et d'interprétation des propos tenus par la fille d'Oyama Masutatsu Sôsai.
Pour des ressources concernant Sasakawa Ryôichi, nous vous invitons à consulter Wikipedia. De nombreux sites ou blogs évoquent son parcours et sa personnalité avec des visions parfois totalement opposées. Le personnage reste controversé à ce jour, surtout au regard de son passé sulfureux pour le moins.
Rôyama Hatsuo Shihan a fondé l'organisation dissidente Kyokushinkan en 2002.