par karatejapon » Mar Août 03, 2010 5:34 pm
Sur ce site nous parlons relativement peu de "karate sportif", néanmoins, nous avons choisi de vous décrire un tournoi ayant eu lieu le weekend dernier à Ôsaka.
La Kansai Kyokushinkaikan Cup s'est déroulée à l'Ôsaka Prefectural Gymnasium, salle de 3000 places qui a accueilli le tournoi All Japan l'année dernière. Moderne et spacieuse, cette salle était bien dimensionnée puisque pas moins de 1000 personnes étaient présentes dès samedi. Le dimanche, avec la majorité des finales, a réuni près de 3000 spectateurs, au coeur d'Ôsaka, dans le quartier central de Nanba.
Nous vous proposons de suivre le seul étranger inscrit pour ce tournoi de niveau régional, regroupant environ 150 combattants répartis par niveaux de ceintures et catégories d'âge. Notre Français étant, quant à lui, dans le tableau vétérans (plus de quarante ans), ceintures noires. Dans celui-ci on trouvait 16 compétiteurs shôdan, nidan et sandan. Agés de quarante à quarante sept ans et pesant de 65 à 103 kilos, tous ces combattants s'entraînent dans la région du Kansai et viennent essentiellement des villes de Kôbe, Kyôto, Ôsaka ainsi que des banlieues de ces dernières.
Afin de rendre la lecture de cet article vivante et collée au plus près de la réalité, nous préférons le présenter à la première personne et espérons que cette formule vous satisfera.
Le rendez-vous des combattants, entraîneurs et du staff d'organisation est prévu à 9:00 pour une ouverture des portes au public à 10:30.
J'arrive le premier quarante cinq minutes avant l'heure dite, vite rejoint par d'autres engagés et leurs équipes. Plusieurs familles s'installent devant les portes car les places ne sont pas numérotées. Beaucoup d'enfants arborant les T-shirts de leur dôjô, venus pour supporter leurs camarades ou leurs grands frères chahutent gentiment ou sont absorbés par leur console de jeu.
Tagahara Masafumi Sensei, Branch Chief régional et, surtout, mon professeur, arrive accompagné d'autres deshi inscrits au tournoi.
Quelques poignées de main et "OSU" plus tard, nous entrons dans la salle, en direction des tables où sont vérifiées les conditions administratives. A cette occasion, tous les combattants sont pesés car, si le tournoi est conçu en formule "open", sans catégories de poids, en cas d'égalité la prime sera donnée au plus léger d'au moins dix kilos.
Seule la catégorie sénior est prévue avec des exercices de casse départageant les combattants.
Un des deux seuls étrangers dans les lieux (l'autre, Singapourien, arbore une ceinture jaune), j'attire inévitablement les regards mais j'ai le sentiment de faire partie intégrale de notre groupe. L'émulation a du bon, d'autant plus que pour trois de nos élèves il s'agit d'une grande première et...pour moi aussi d'ailleurs.
Verdict de la pesée: 83 kilos en caleçon. J'en visais deux de moins mais ma préparation ne fut pas aussi longue et simple que souhaitée. Mon souci majeur reste la fatigue car je suis arrivé de Paris la veille et le décalage horaire ne m'a pas épargné.
Le suivant a monter sur la balance est taillé comme un Charolais ou plutôt un...boeuf de Kôbe, si je puis dire. Pas du genre bodybuilder mais 103 kilos tout de même, pour 1 mètre 85.
Bien évidemment j'espère ne pas tomber sur ce "38 tonnes" au premier tour, ni plus tard d'ailleurs.
J'adopte un air fermé et malveillant à souhait. Tant qu'à faire, un peu d'intox ne fait pas de mal. Pectoraux gonflés j'enfile mon dôgi avec un regard de tueur froid. Je ne sais pas si ça marche avec mes futurs adversaires mais j'entends des petits Japonais dire que j'ai vraiment l'air méchant, que suis certainement Russe (!) et que je dois être un super combattant. Au moins j'ai gagné l'estime de quelques personnes, enfin, si on veut...
Nous nous échauffons dans un coin de la salle avec, en alternance, des étirements et du travail au bouclier de frappe. Tagahara Masafumi Sensei, lui même ancien compétiteur de niveau international, dirige tout cela avec beaucoup de métier. Il surveille la progression de l'échauffement, parle avec chacun d'entre nous, estime où nous en sommes dans cette préparation.
A 10:30 exactement (nous sommes au Japon, ne l'oublions pas...), les portes s'ouvrent et les spectateurs s'installent. L'ambiance est bon enfant, les bentô (casse croûte typiquement japonais présentés dans des boîtes souvent rectangulaires) et autres boissons en tout genre fleurissent. On a l'impression que certains sont venus là pour piqueniquer.
11:00 déjà. Nous avons fini notre échauffement et nous sommes appelés sur le tatami, en rangs d'oignons.
Une fois tous les combattants impeccablement rangés, nous avons droit à un discours du responsable administratif IKO de la région puis d'un représentant du Honbu dôjô. Ensuite, le vainqueur de la dernière édition chez les séniors déclame le dôjô kun dans une ambiance recueillie. Même s'il ne s'agit pas d'un tournoi majeur ni même très relevé, le moment est solennel; j'essaye de ne pas me poser trop de questions.
Trois tatami accueillent simultanément les combats et Tagahara Masafumi Sensei me demande de compléter mon échauffement car je serai le premier à monter, sur le plus proche de l'entrée.
A 11:15 mon nom est appelé au micro. Curieux sentiment...Je m'avance et tape dans les mains de mes petits supporters Nippons dont le frère aîné combattra plus tard sur un autre tatami. J'ai droit à des rires et, du coup, ils m'encouragent, imités en cela par leurs familles et leurs copains. C'est bon, je me suis déjà constitué un fan club!
Mon adversaire me rejoint. Plus petit et facilement 10 kilos de moins; ça s'annonce plutôt bien mais je reste concentré et méfiant.
Le Shûshin (arbitre central) vérifie nos coquilles et protège dents, seules protections autorisées dans cette catégorie.
Et ça démarre, très vite même. Mon adversaire est un véritable feu follet, il me frappe sous tous les angles et j'ai du mal à trouver la distance. Il se déplace avec rapidité et dans un bon timing avec un cardio affûté. J'ai du mal à m'organiser et j'essaye de le coller afin de placer mes poings pour calmer ses ardeurs. Je commence aussi à le freiner quelque peu avec des gedan mawashigeri répétés sur la jambe arrière.
Si les débats s'équilibrent progressivement, il n'en reste pas moins que j'ai la désagréable impression d'être mené.
J'entends mon Sensei annoncer les trente dernières secondes.
Travaillant en garde de gaucher, je contre mon adversaire - qui continue d'avancer sans relâche - en direct du droit et j'enchaîne avec un chûdan ushirogeri jambe gauche alors qu'il est en déséquilibre. Ô miracle! Je touche le foie et mon tourmenteur s'écroule. Incapable de se relever immédiatement, il est déclaré KO par le Shûshin.
Un seul mot: "heureux"!
J'ai gagné mon premier combat et avec la manière. Un peu d'autosatisfaction de fait pas de mal de temps en temps.
Le Sensei me raccompagne dans la foulée vers le coin qui nous sert de base. Mes camarades de dôjô me félicitent, les petits Japonais et leurs familles aussi, bruyamment d'ailleurs.
J'ai 15 minutes environ avant les quarts de finale. Pas de blessures à soigner Tagahara Masafumi Sensei me fait "rester en température", tant physiquement que mentalement. Hors de question de s'éparpiller; il faut rester sur la même dynamique. Le Sensei sait gérer ses élèves.
Nos autres combattants s'en sortent eux aussi plutôt bien. Sur six engagés, nous sommes cinq à passer le premier tour.
Les combats se succèdent sur les trois aires et, trop rapidement à mon goût, je dois remonter sur le tatami.
Mon nouvel adversaire et moi même sommes de taille identique mais je suis visiblement plus lourd que lui, cette fois encore.
Il semble un peu émoussé par son premier combat et mon cardio correct fait la différence. Je passe un jôdan kakatogeri qui ne fait pas de dégâts physiques mais le décourage plutôt. Quelques gedan mawashigeri plus loin et je sens que la partie est gagnée. Une dernière série de poings qui claquent bien et les quatre Fukushin (juges) m'accordent la victoire. Je la savoure d'autant plus que j'ai pris relativement peu de coups et, surtout, ne suis pas blessé.
Repos dans les gradins, massages et on m'appelle pour la dernière marche avant la finale.
Les choses se gâtent largement quand je vois mon adversaire monter sur le tatami. Il s'agit, bien entendu, du Japonais taillé comme un char d'assaut.
Autant le dire tout de suite, les vingt kilos de différence se font sentir dès le début du combat.
J'ai l'impression de taper sur un tronc d'arbre et ses coups font mal. Il me surprend avec un jôdan mawashigeri qui m'occasionnera une paupière tuméfiée. Je reste debout et continue à frapper mais je suis loin d'avoir le dessus.
Tagahara Masafumi Sensei me prodigue de bons conseils avec calme mais je ne les entend pas vraiment. Je ne suis pas assez mobile et je reçois beaucoup trop de coups. Le Sensei me dit de tourner, frapper et ressortir mais le coup à la tête m'a fait voir rouge. Je manque de lucidité. Mon adversaire et moi même passons les trente dernières secondes du combat l'un contre l'autre, ma tête contre sa poitrine, à frapper fort avec les poings et quelques gedan. Je donne tout ce que j'ai mais ça ne suffira pas. En bonne logique je perds ce combat, trois juges à un, ce dernier généreux à mon sens. J'ai tout de même fini debout ce qui est une certaine forme de victoire en soi.
Déçu mais pas abattu, j'essaye de rester concentré, avec l'aide du Sensei il reste un combat pour la troisième place et je la veux, celle là.
Le médecin du tournoi et sa charmante assistante (si, si, vraiment...) s'occupent de mon oeil, bleui sous le sourcil. La bombe de froid magique est aussi bien utile car j'ai des hématomes partout et les jambes très lourdes.
Nos autres combattants font bonne figure et deux d'entre eux montent sur le troisième marche du podium de leurs catégories respectives. Je compte bien les imiter et attaque le dernier combat plein d'envie et de motivation.
Les membres de notre dôjô font bloc et se montrent très "vocaux", tout comme mes petits Nippons avec leurs "gaijin ganbare!" sonores.
Dès le début je vois que mon adversaire boîte et, en bonne logique, j'essaye de capitaliser. Mal m'en prend car, oubliant le zanshin (vigilance) pourtant nécessaire, je reçois un jôdan mawashigeri sur le nez. Un hématome de plus et des cartilages qui ont bougé. Je réplique néanmoins aussitôt, notamment par deux chûdan ushirogeri qui claquent bien mais n'abattent pas mon adversaire. Malgré tout je prends l'ascendant car il est bien fatigué par ses combats précédents. Les dix dernières secondes nous voient au corps à corps où je m'impose pour conclure avec un chûdan maegeri qui fait tomber mon adversaire, plus épuisé que vraiment touché.
Je prends donc la troisième place, trois juges se prononçant en ma faveur et un voyant hikiwake (égalité).
Je suis bien sûr content mais surtout épuisé, physiquement et psychiquement. Mes camarades de dôjô me soulèvent et me projettent en l'air à plusieurs reprises, à la façon japonaise.
J'ai besoin ensuite de m'allonger car je suis vraiment "vidé". Je me rends compte que j'ai gagné ce dernier combat grâce à un adversaire plus épuisé que je ne l'étais.
Pour l'anecdote, le poids lourd qui m'a éliminé gagnera le tournoi en pliant son adversaire en moins d'une minute.
La remise des trophées sera aussi, pour moi, un moment à savourer. D'autant plus que les responsables de la table centrale d'arbitrage m'accorderont le Prix du Kyokushin spirit. Je crois, pour ma part, que les autres combattants ont fait montre d'au moins autant de fighting spirit que je n'en avais. Le fait d'être étranger et le plus âgé des engagés à peut être joué en ma faveur.
Au delà du résultat individuel, il faut souligner le travail de Tagahara Masafumi Sensei et la solidarité de l'ensemble des deshi de son dôjô. Seul, rien n'aurait été possible.
En espérant que vous aurez passé un bon moment à lire la synthèse de ce tournoi que nous avons pris beaucoup de plaisir à couvrir et vous relater.
Dernière édition par
karatejapon le Jeu Sep 01, 2011 11:22 am, édité 2 fois.