La première journée de ce kangeiko s'achève par une session de questions/réponses entre Matsui Shokei Kanchô et les participants au stage.
L'idée est certes bonne mais les questions doivent d'abord être soumises aux capitaines des différents groupes qui les poseront au Kanchô. Néanmoins, pas de censure relevée, du moins en ce qui nous concerne.
Les enfants, eux, pourront poser directement leurs questions, généralement candides.
Nous voici donc tous assis à même les tatami dans la grande salle où nous prenons les repas, en colonnes et l'un derrière l'autre. La position n'est pas particulièrement confortable; nous n'avons même pas droit aux zabuton (coussins posés au sol).
Matsui Shokei Kanchô arrive et nous nous levons pour un salut formel.
En guise d'introduction le Kanchô nous dit son plaisir de partager ce moment en notre compagnie. Il renouvelle son souhait de nous voir progresser avec ce stage et parle d'entraide mutuelle, de travail, de sérieux.
Nous reprenons maintenant à la première personne afin de rendre au mieux les réponses fournies aux diverses questions posées. Sachant que ce qui suit correspond à celles nous ayant semblé les plus pertinentes et en accord avec notre niveau de compréhension du japonais. Nous restons donc, bien entendu, seul responsable des éventuelles erreurs de traduction et d'interprétation.
- "Kanchô, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez commencé le karate?"
- M. K.: "Je lisais souvent des manga dont un qui mettait en scène Oyama Sôsai. Il s'agissait de Karate baka ichidai. J'étais jeune et impressionné par ce que je voyais. Je me disais qu'il était incroyable qu'un tel homme puisse exister. Et en fait, quand je l'ai rencontré j'ai compris que la bande dessinée était assez proche de la réalité. Sôsai était vraiment incroyable pour le jeune adolescent que j'étais alors. Du coup je suis resté avec lui."
- "Kanchô, vous souvenez vous de votre premier kangeiko ici même?"
- M. K.: "Oui, très bien. J'étais ceinture verte et j'étais assez inquiet, surtout pour le marathon. J'ai eu du mal mais je me suis accroché et, sur le retour, Sôsai m'a encouragé car j'étais à la dérive. C'est à partir de ce moment là qu'il s'est intéressé à moi. Il m'a dit que j'avais des possibilités et que si je m'entraînais très durement avec le plus grand sérieux je pouvais figurer parmi les meilleurs combattants de la Kyokushinkai.
J'étais impressionné par tous les champions qui étaient là et les ceintures noires en général. Il y avait des combattants très forts et j'ai eu la chance de les observer et m'entraîner avec eux.
Le froid était intense, c'était très dur mais je voyais les anciens résister alors je faisais comme eux. Je ne voulais surtout pas montrer de faiblesses devant mes senpai et Oyama Sôsai.
Le taki shûgyô a aussi été très difficile. J'étais gelé et je grelottais. C'était terrible!
Ce premier kangeiko a été mémorable pour moi et je suis ensuite revenu chaque année."
- "Kanchô, comment vous êtes vous préparé pour les Championnats du Monde que vous avez gagné en 1987? Avez-vous suivi un entraînement spécial?"
- M. K.: "Je me suis entraîné très durement, avec beaucoup de régularité. Pendant trois mois je n'ai fait que me préparer, sous l'oeil attentif de Sôsai. Beaucoup de bases pour la technique juste. Beaucoup de shadow devant le miroir. Beaucoup de combat avec de nombreux sparring partners.
J'allais à la salle de musculation quatre fois par semaine et, bien entendu, je courais aussi, en extérieur. Trois séances hebdomadaires quel que soit le temps.
J'ai eu des moments de découragement, notamment en musculation au début car j'étais loin des performances des powerlifters qui fréquentaient la salle. J'ai toujours buté sur la barrière des 140 kilos au développé couché alors que je voyais des gens lever près de 200 kilos. Même chose avec les squats. Mais Oyama Sôsai m'a dit que c'était normal car le sport était différent. J'avais besoin de force mais aussi de vitesse, d'explosivité...alors mon record de 139 kilos était déjà très bien pour 90 kilos de poids de corps.
Sinon...oui, je suivais un entraînement assez spécial...J'ai été quatre ou cinq fois à la Takasagobeya (Ecole de sumô parmi les plus réputées) pendant ma préparation. Je travaillais les butsukarigeiko (exercice consistant à se lancer de façon répétée sur son partenaire et pousser). C'était épuisant et je roulais sans arrêt au sol. Je devais me relever et recommencer malgré la fatigue. Cela m'a apporté de la force et de la volonté. Les rikishi (lutteurs de sumô) étaient tous bien plus lourds que moi mais ça développait la puissance mentale.
Je me suis aussi entraîné avec Konishiki Ozeki (champion Américain de Hawaii et de souche fidjienne ayant atteint les 272 kilos). C'était terrible! Il me faisait rouler partout dans le dôjô. J'étais sans arrêt jeté à terre avec des coups de la paume de main. Sa force était incroyable, j'avais l'impression d'être un enfant entre ses mains. Là encore, le but était de rendre mon esprit fort et persévérant car je devais me relever et me jeter à nouveau contre sa poitrine même si je n'arrivais pas à le faire bouger."
- Question posée par votre serviteur: "Kanchô, pourquoi avoir ajouté quatre kata à main nue ainsi que des kata de bô?"
- M. K.: "Ce n'est pas un problème et ça ne représente pas un travail impossible. Notre Ecole tire ses origines d'autres, plus anciennes, qui possèdent ces kata. Oyama Sôsai estimait qu'il fallait ajouter des kata à notre cursus, avant sa disparition en 1994. Nous devons proposer un programme complet et suivi par notre groupe dans le monde entier."
- "Kanchô, le fait que le karatedô ne devienne pas un sport olympique est-il un problème?"
- "C'est dommage car cela aurait pu amener de nouveaux pratiquants mais, de toute façon, les règles retenues par le Comité Olympique ne seraient pas les nôtres. Alors ce n'est pas très grave pour l'IKO. Nous poursuivons notre développement avec des règles jissen. Ce ne sont pas les plus répandues mais on trouve déjà des choses assez proches aux Jeux Olympiques, avec les Arts Martiaux chinois notamment. Ce n'est donc pas vraiment un problème pour nous."
Au total cette session durera une heure avec tout de même des redondances dues à des questions très proches, essentiellement de la part des enfants.
Matsui Shokei Kanchô s'est prêté de bonne grâce à l'exercice en répondant souvent avec humour, toujours de façon courtoise et avec de longues explications quand nécessaire.
La suite de ce récit d'ici quelques jours