L'article qui suit relate les points nous semblant les plus importants d'une toute récente conversation entre un policier Français et votre webmestre. Le lieu: un avion entre Tôkyô et Paris.
Cette personne, dont nous tairons le nom à sa demande, vient de passer un an au Japon, dans le cadre de son travail, en relation avec la représentation diplomatique française dans l'archipel.
Son expérience dans le domaine du karatedô en France puis au Japon nous paraît intéressante à plus d'un titre. A vous d'en juger.
- kj: "Quel est votre parcours dans le domaine des Arts Martiaux?"
- M.X.: "J'ai fait pas mal de jûdô, dès l'école primaire. Après j'ai commencé le karate au lycée. J'ai fait deux petits dôjô avant d'atterrir chez Serge Chouraqui, à côté de chez mes parents. Même quand j'ai déménagé je suis toujours resté dans son club. A part ça j'ai suivi un maximum de stages avec des Maîtres Shôtôkan et, bien sûr, je m'entraîne dans la cadre de la police. Au total je m'entraîne en karate depuis un quart de siècle."
- kj: "Vous avez donc mis à profit votre année d'affectation au Japon pour pratiquer?"
- M.X.: "Oui, absolument. Ne pas en profiter aurait été dommage. J'avais toujours eu envie de ça, comme des tas de gens."
- kj: "Où et avec qui vous êtes vous entraîné?"
- M.X.: "J'ai bien sûr été faire un tour à la JKA et j'ai participé à quelques entraînements. Mais je crois que je suis un peu mal tombé car je n'ai pas vu grand chose qui m'emballait; c'était plus des cours très sportifs. Bien pour les jeunes mais pas dans l'optique de ce que je cherchais."
- kj: "C'est à dire?"
- M.X.: "Je cherchais quelque chose en relation directe avec des applications type self défense. Quelque chose d'utile au niveau du travail policier, type garde du corps, protection, contrôle, etc.
Mais ça s'est vite réglé puisque mes collègues Japonais m'ont emmené dans un des dôjô de la Police Métropolitaine de Tôkyô. Là bas le travail est différent, complètement tourné vers l'aspect pratique du karate. C'est très proche de la réalité.
Dès le premier cours j'ai vu deux Japonais le visage en sang; ils ne font pas semblant et se donnent à fond."
- kj: "Le dôjô était-il rattaché à une ryû particulière?"
- M.X.: "Oui, c'est du Shôtôkan mais les fonctionnaires de police viennent d'un peu partout. De plus on y pratique aussi le kendô, la baïonnette, la matraque, le jûdô, etc.
Les intervenants en karate viennent du Shôtôkan et j'ai aussi vu des profs du kenpô."
- kj: "Comment les cours se déroulent-ils?"
- M.X.: "Un bon échauffement type gymnastique plus des étirements individuels. Comme on ne trouve que des professionnels, les gens connaissent déjà bien leurs corps, leurs besoins, savent quand il faut freiner ou faire attention, à cause d'anciennes blessures par exemple.
Toute une partie est très "scolaire" mais pour le reste c'est individuel ou à deux.
Après on fait du kihon pour affiner la technique. Il ne faut pas croire que c'est du genre "bourrin". Les Japonais ont une technique très fine; j'ai vraiment apprécié. Comme quoi, les bases sont essentielles.
Ensuite on faisait un gros travail de bunkai, toujours en précision, surtout pour les zones de frappe. Là aussi c'est très, très précis. On doit vraiment viser les endroits où ça fait mal. Les profs corrigent beaucoup quand on frappe sur les épaules ou les zones musclées. J'ai trouvé ça très bon pour développer le coup d'oeil et la coordination.
Sinon, la plus grosse partie est réservée aux techniques plus "professionnelles" qui nous intéressent le plus dans notre travail de protection et d'intervention. C'est là que les Japonais vont à fond."
- kj: "Dans la mesure où vous êtes déjà un professionnel de longue date, avez vous appris quelque chose?"
- M.X.: "Complètement. Ce que j'avais fait avant d'arriver au Japon est très bien et très efficace mais j'ai travaillé différemment, avec d'autres partenaires.
Je trouve que les Japonais s'investissent totalement dans leur entraînement. Si on prend des coups, tant pis. Si on saigne, tant pis. On fera plus attention la prochaine fois. C'était très réaliste, il faut se défoncer. Je crois, en fait, que le point le plus important à retenir est le conditionnement mental et psychologique. Il faut être capable de passer d'un état de calme à un état de sorte de vide où seul le combat comptera. Les Japonais font ça très bien. Bien évidemment il faut conserver une conscience de ce qui nous entoure mais savoir être à fond dans l'action.
C'est d'ailleurs pour ça que les coups sont peu retenus."
- kj: "Pas de kata durant ces cours?"
- M.X.: "Si mais avant ou après. C'est plus du travail individuel ou en petits groupes. Là aussi j'ai appris pas mal de choses. Les Japonais sont très explosifs. Ils ont les bons muscles pour ça et travaillent de façon très précise. J'en ai vu rester un quart d'heure devant la glace à affiner un seul petit mouvement ou une rotation. Et les Maîtres corrigent les erreurs."
- kj: "Au niveau de la technique en elle même, avez vous pratiqué de façon différente?"
- M.X.: "Je dirais plutôt oui...Je vais essayer de vous donner des exemples précis...
J'ai beaucoup plus travaillé mains ouvertes qu'en France. La raison est simple: des saisies, du travail sur les articulations et piques des doigts. On doit apprendre à utiliser les vêtements d'un individu à maîtriser, pour l'amener au sol et l'immobiliser. On ne peut pas se contenter de donner des coups de poing ou de pied. D'abord ce n'est pas toujours facile de réussir un KO et puis, dans notre travail, nous sommes soumis à certaines règles. Tout n'est pas possible.
En tout cas ce travail mains ouvertes est vraiment de première importance. Je me souviens qu'un professeur intervenant sur un cours hebdomadaire nous a expliqué que le karate à Okinawa n'avait presque pas de techniques poing fermé."
- kj: "Voyez vous d'autres points essentiels travaillés dans ce milieu policier?"
- M.X.: "Oui. Je voudrais préciser un point sur lequel j'ai beaucoup appris.
Quand j'ai dit d'être à fond dans le combat, j'ai été trop vite. Il faut s'investir et quand on donne un coup il faut tout donner, pas la moitié. Parce qu'on ne sait pas à qui on a affaire et on n'aura peut être pas de seconde chance, notamment face à une arme blanche ou même une arme à feu. Mais, peut être plus important, les Japonais enseignent à garder conscience de ce qui nous entoure. Le problème pour des professionnels est que, quand ça dérape, c'est le chaos. Mais on ne peut pas se battre seul, pour se défendre soi même. On est là pour protéger quelqu'un et il faut travailler en équipe.
Le fin du fin reste de garder conscience de ce qui se passe autour de nous. Je prends un exemple expliqué par un des profs Japonais du dôjô: si vous affrontez quelqu'un et que vous êtes un bon combattant, vous pouvez avoir le dessus. Mais pendant que vous êtes en train de maîtriser un agresseur, même si le vous le mettez KO, un autre peut arriver dans votre dos et vous planter un couteau entre les omoplates ou vous frapper à la tête avec une barre de fer.
Le Maître qui nous expliquait ça était jeune policier à la fin des années soixante quand les universités japonaises étaient en ébullition. D'après ce que m'en on dit des collègues parlant anglais - parce que moi je ne comprends rien en japonais - il a pris des coups et garde des cicatrices de l'époque. Il parle donc en toute connaissance de cause.
Tout ça veut dire qu'il faut développer une sorte de sixième sens et pas seulement être un bon combattant, costaud et rapide. C'est très difficile mais ça se travaille."
- kj: "Avez vous relevé d'autres spécificités?"
- M.X.: "Il y a un autre point important que les Japonais comprennent bien et savent développer chez les élèves. Je vous en ai parlé avant mais je voudrais y revenir un instant.
C'est comme si on appuyait sur un interrupteur. On doit passer d'un état d'inaction - tout en restant vigilant - à un état d'action. Il n'est pas toujours facile de frapper quelqu'un presque sans préavis mais ça revient souvent à "c'est lui ou moi". Les Japonais entrent tout de suite dans l'état d'esprit adapté.
Je sais que dans l'armée française - je suis moi même ancien sous officier - certaines unités travaillent cette idée. Pas facile à mettre en place mais très important."
- kj: "Conditionner les gens ne fait-il pas perdre son libre arbitre et une certaine conscience?"
- M.X.: "Justement, c'est là que les Japonais sont très forts. Ils sont capables de passer d'un état à l'autre d'un coup, sans même que ça se remarque. Ca doit être une conjonction d'entraînement physique et de travail mental."
- kj: "Le karatedô est-il la bonne réponse à votre recherche dans ce cas?"
- M.X.: "Absolument. Il suffit de faire la distinction entre l'aspect sportif et un Art Martial. Les bonnes réponses sont là, il suffit de bien chercher et d'être bien dirigé.
Pas besoin obligatoirement de faire de l'auto défense. De toute façon on retrouve des techniques de karate. Il n'y a rien à inventer, juste à adapter à ses besoins."
- kj: "Avez vous des regrets?"
- M.X.: "Des tonnes!
Je ne suis pas resté assez longtemps. Mais ce n'est pas moi qui décide. Je regrette le pays et les gens. J'ai mangé beaucoup de bonnes choses. On est vraiment bien au Japon. Je ne sais pas si je reviendrai un jour mais j'espère. Si je viens en vacances je retournerai m'entraîner, même à la JKA mais en visant certains cours spécifiques.
Je garderai mes contacts car je sais où sont les meilleurs pour moi."
Nous espérons que cette conversation aura retenu votre attention et remercions M.X. pour le temps qu'il nous a accordé.