par karatejapon » Lun Fév 09, 2009 4:27 pm
Après une enquête longue et minutieuse menée d'Ôsaka à Tôkyô, nous vous proposons une nouvelle illustration de la présence des yakuza dans le monde du karatedô au Japon.
Si vous suivez attentivement tout ce qui est écrit sur le site, vous avez certainement noté la fermeture du Honbu dôjô Kyokushinkai régional pour le Kansai.
Situé au coeur d'Ôsaka, dans le quartier de Tenmabashi, l'Ôsaka chûo shibu avait autorité sur l'ensemble des dôjô de la région du Kansai, soit le triangle Ôsaka, Kôbe, Kyôto.
La fermeture donc fut brutale et sans explication d'aucune sorte. Porte close, pas un panneau ou une quelconque notification à l'entrée, téléphone sonnant dans le vide et portable du responsable annonçant un numéro non attribué, site Internet indisponible et références du dôjô retirées du site du Kyokushinkaikan.
Ayant quelques notions de japonais, nous avons alors cherché, dans un premier temps, des informations auprès des commerçants du quartier, sans résultats probants. Tout le monde connaissait mais personne ne savait pourquoi le dôjô avait soudainement fermé. Malgré tout, certains sourires en coin, quelques airs gênés et silences nous laissent dubitatifs au regard de notre connaissance du Japon.
Nous nous sommes donc intéressés à la question directement au Honbu dôjô mondial, à Tôkyô, près de la station de Ikebukuro. Dans un premier temps, pas plus de chance de ce côté mais notre habitude du Japon et des Nippons nous disait qu'il y avait certainement matière à creuser. Une "intuition" nous commandait de poursuivre afin d'obtenir quelques réponses.
La persévérance a payé car, au bout de la seconde tentative, un uchi deshi, dont nous sommes le senpai, confie savoir partiellement ce qu'il en est.
En tête à tête et à voix basse, ce shôdan nous dit que le dôjô a été fermé sur décision de Fukuda Isamu Shihan qui n'est autre que le Chef Instructeur du Honbu dôjô mondial.
Curieux quelque part car ce genre de décision appartient plutôt à l'administration centrale du Kyokushinkaikan, sise dans l'immeuble du Ichigeki Center - toujours dans la capitale, à Ebisu - et dirigée par Matsui Shokei Kanchô lui même.
Selon notre kohai, Fukuda Isamu Shihan en aurait eu "assez des agissements et de l'attitude du responsable régional". Dont acte mais quel est la nature exacte du problème?
Sentant la source d'information tarie et sachant fort bien que personne d'autre ne parlerait à ce moment là au Honbu dôjô, nous nous mettons alors en quête d'un nouveau dôjô à Ôsaka.
Toujours prompt à apporter son l'aide, le kohai en question s'empresse de nous fournir les coordonnées du nouveau Honbu dôjô régional.
Et nous voici par une belle soirée d'automne à la porte dudit dôjô où nous avons d'ailleurs été reçu fort courtoisement (un article sur ce dôjô vous sera proposé d'ici le mois prochain au sein du forum "Carnet d'adresses").
Là, tradition japonaise oblige, nous ne posons pas de questions dérangeantes et politiquement incorrectes. Mais, si j'ose dire, la chance est avec moi. En effet, à la sortie du dôjô nous rencontrons une mère venant chercher son enfant, auparavant lui aussi deshi du Ôsaka chûo shibu. Cette sympathique personne nous reconnaît et nous salue; nous en profitons pour engager la conversation. D'une parole à une autre, nous orientons le sujet vers cette fermeture encore inexpliquée. La gêne est, là encore, de mise car le Japonais est, par essence, consensuel et discret, surtout dans certains domaines. Nous comprenons néanmoins qu'un grave problème d'argent serait à l'origine de cette péripétie, ainsi qu'un procès éventuel. L'image se précise donc quelque peu.
Munis de ces éléments, nous voici de retour à Tôkyô où, feignant l'innocence, nous poursuivons nos investigations auprès d'autres uchi deshi travaillant à l'administration des lieux.
L'un d'entre eux, invité à prendre un verre après l'entraînement accepte de livrer quelques renseignements en sa possession.
Effectivement, un procès contre l'ancien responsable du Kansai est envisagé car les locaux sont toujours loués mais non payés au propriétaire qui s'est retourné vers le Kyokushinkaikan, faute de mieux.
Nous apprenons que les clés n'ont jamais été rendues et qu'une personne entend occuper les lieux. Il voudrait même y dispenser des cours. Tout cela semble nébuleux pour le moins mais tout s'éclaire quand nous apprenons de qui il s'agit. L'ancien homme à tout faire du dôjô: trésorier, secrétaire, assistant, instructeur pour les enfants et accessoirement yakuza de son état.
Il faut savoir qu'au Japon on écoute plutôt qu'on ne parle et que beaucoup de choses se ressentent à défaut d'être exprimées verbalement. Notre position d'étranger bien "acculturé", connaissant le pays, ses coutumes et sa langue nous place néanmoins dans une position quelque peu privilégiée.
Au cours des mois qui ont suivi nous avons appris la disparation du responsable du dôjô, introuvable et donc démis de ses fonctions.
Progressivement les pièces du puzzle se mettent en place.
Au fil de nos conversations et réflexions nous comprenons que l'argent des cotisations versées à la branche d'Ôsaka n'a pas trouvé le chemin du Kyokushinkaikan, selon le contrat signé par les branch Chiefs Japonais dans l'archipel. Nous apprenons également qu'il en va de même pour le paiement correspondant aux tournois, passages de grade et autres activités hors cours.
Poussant plus avant nos recherches, nous saisissons que les paiements en liquide n'étaient plus rétrocédés de façon proportionnelle, comme prévu. C'est notamment le cas des cotisations mensuelles et du paiement à la journée des visiteurs occasionnels.
Le Kyokushinkaikan propose un système de prélèvement automatique mais possibilité est laissée aux membres de régler en liquide sur une base mensuelle.
A la lueur de tous ces éléments, nous imaginons aisément la destination des cotisations acquittées depuis notre inscription. Le souvenir du responsable régional, toujours généreux avec ses deshi au restaurant, roulant dans une Toyota Crown (haut de gamme japonais), Rolex en or au poignet est maintenant bien présent. Idem pour les notes de bars et restaurants, toujours payées en liquide avec des grosses liasses de billets de 10000 ¥. Ne parlons même pas des visites au dôjô de personnages aux costumes souvent voyants, lunettes de soleil sur le nez, garant leurs véhicules de luxe devant l'entrée, au détriment de la circulation mais semblant s'en moquer totalement. D'ailleurs personne ne s'est jamais plaint dans le quartier...
Alors, abus de confiance? Recel d'abus de biens sociaux? La justice japonaise tranchera. Encore faut-il qu'un procès arrive ce qui est loin d'être certain.
D'autres sources au Honbu dôjô mondial ont ensuite apporté les éléments encore absents.
Matsui Shokei Kanchô, a priori empêtré dans divers problèmes juridiques et parfois accusé par ses adversaires de relations avec le monde yakuza ne pouvait s'occuper lui même de l'affaire. Déjà en procès, il consacre ses énergies à des soucis plus pressants. C'est donc Fukuda Isamu Shihan qui a été chargé de prononcer la sanction disciplinaire et, éventuellement, d'expliquer tout cela à la justice. Il fallait un écran pour isoler le responsable mondial du Kyokushinkaikan; à la japonaise.
Le résumé de tout ce qui précède est que l'IKO1 a fermé le dôjô dont le responsable est soupçonné de collusion avec les yakuza. Image dont cherche justement à se débarrasser l'organisation japonaise fondée par Oyama Masutatsu Sôsai.
De l'argent a bien été détourné, semble-t-il, pour un profit personnel mais aussi, selon des sources proches du Directeur mondial, au bénéfice de personnes peu recommandables.
Un système bien rôdé faisait que les soirées au restaurant, fréquentes au Japon, étaient toujours organisées dans les mêmes établissements dont les patrons évoluent dans des milieux troubles. Il en allait ainsi pour les déplacements lors des tournois et stages. Toujours les mêmes sociétés de transport facturant leurs services au prix fort et sans jamais faire jouer la concurrence. On peut encore citer les travaux dans le dôjô, une seule et unique entreprise sollicitée. D'ailleurs dirigée par un nidan fidèle à l'image du yakuza.
Et on peut aussi ajouter la société d'imprimerie, seule prestataire pour le Honbu dôjô régional et ses satellites.
Reste que la présomption d'innocence est de mise. Par ailleurs nos conclusions peuvent être erronées mais, si nous avions un doute, nous n'aurions pas proposé un tel article.
Ces investigations ont nécessité du temps, de l'opiniâtreté et de la réflexion. N'étant pas journaliste, notre enquête est certes loin d'être inattaquable mais notre conviction profonde nous dicte que, malheureusement, le doute n'est donc pas permis.
Pour conclure, nous souhaitons remercier les personnes qui ont accepté de nous parler. Déjà difficile en général, cet exercice des confidences l'est encore plus au Japon.
Vous comprendrez aisément qu'aucun nom ne soit cité.
Enfin, à titre personnel, dans la mesure où nous connaissons la destination de nos cotisations et autres contributions durant plusieurs années, il est évident que la situation n'est guère plaisante. Un goût amer perdure. Néanmoins, nous avons fait nos premiers pas dans le Kyokushin karate sous la tutelle du responsable de l'Ôsaka chûo shibu dôjô et ne pouvons oublier sa bienveillance ainsi que l'attention accordée.
Dommage de tout perdre quand on est yondan et branch Chief.
Dernière édition par
karatejapon le Ven Jan 06, 2012 10:54 pm, édité 2 fois.