Récemment, un évènement anecdotique nous a poussé à écrire l'article que vous proposons aujourd'hui, afin de clarifier certains points déjà évoqués concernant un éventuel changement d'Ecole au Japon et, par extension, à l'étranger.
Voici deux semaines, une personne s'est présentée à notre dôjô francilien afin de se renseigner, notamment sur les modalités à suivre pour participer à un cours d'essai.
Cette jeune femme s'est présentée comme "ceinture marron" Shotokan avec cinq années de pratique à son actif. Elle semblait motivée et son choix de notre dôjô s'expliquait par une volonté affirmée de s'essayer au Kyokushin karate. Nous lui avons donc fourni les renseignements demandés et donné quelques exemples de pratiquants présents de soir là, venant d'autres Ecoles. Tout semblait correspondre à ce qu'elle attendait jusqu'à ce que nous lui indiquions un pratiquant portant une ceinture verte mais sandan d'une branche Shotokan ryû. Devant son incompréhension quant à la couleur de la ceinture portée par notre kohai, nous lui avons expliqué que cette situation était tout à fait normale et inspirée directement de la tradition japonaise. Las, cette personne a alors répondu qu'il était hors de question pour elle de changer de couleur de ceinture. Elle ne trouvait aucune raison objective de "redescendre en grade" et que le seul changement la concernant serait pour la couleur noire. Tentant de faire acte de pédagogie, nous lui avons expliqué qu'au Japon, en cas de changement d'Ecole on remet une ceinture blanche avec éventuellement, après évaluation, possibilité de se voir accorder un grade plus élevé. Système qui a donc cours dans notre dôjô français et tous ceux que nous fréquentons, au Japon ou dans divers autres pays. La demoiselle en question, pas convaincue du tout, n'est jamais revenue...
Au Japon, cette façon de faire est incontournable et ne souffre pas d'exceptions.
Nous avons pu observer cette règle traditionnelle en vigueur dans plusieurs dôjô d'Ecoles variées. Les pratiquants Japonais ne sont aucunement choqués ou froissés par cette façon de faire.
En bonne logique, changer de ryû entraînera un apprentissage de nouveaux kata, de nouvelles façons de s'entraîner et pratiquer. Il faudra s'imprégner des principes de sa nouvelle Ecole, connaître ses us et coutumes et bien d'autres aspects encore. Même si changer de ryû reste relativement rare au Japon, celles et ceux qui le font se plient de bonne grâce à cette règle certes non écrite mais intuitivement comprise et implicitement acceptée.
Là réside peut être une différence fondamentale entre les pratiquants Japonais et Français, dans leur majorité du moins. Le Nippon est par essence une créature consensuelle, qu'il pratique ou non un budô. La tradition confucéenne qui perdure au sein de la société japonaise entraîne des attitudes ordonnées et respectueuses ainsi qu'une forme de patience plutôt inconnue en occident. Celle ci fait que le pratiquant Japonais travaillera plus dans la durée, sur le long terme, que son homologue occidental. Repartir du pied de la pyramide ne sera donc généralement pas un choc pour l'ego du pratiquant Nippon. La course à la ceinture est bien plus présente en occident et la remise en question demande déjà un sens du recul important que seuls des personnes avancés maîtriseront.
Soyons clair, notre propos n'est pas d'établir une quelconque supériorité des Japonais sur les pratiquants étrangers. Nombre de ces derniers comprennent parfaitement la tradition dont nous parlons ici. L'exemple de cette personne rebutée par un retour à la ceinture blanche n'a pas valeur de règle absolue et c'est heureux ainsi. Il s'agit donc de facteurs individuels et culturels avant tout.
Sur un plan pratique, intégrer au Japon un nouveau dôjô relevant d'une autre Ecole de karatedô entraînera donc le port d'une ceinture blanche. Cela étant dit, pour les élèves avancés il est bien évident que la progression sera plus rapide et, par la même, les changements de ceinture plus fréquents.
Il s'agit, dans une certaine mesure, d'une sorte de nouveau départ auquel s'astreint le pratiquant sincère et motivé. Nous avons d'ailleurs le plaisir de le voir dans notre dôjô en France.
Les sommités du monde du karatedô au Japon qui ont connu ce type de parcours ne sont pas rares.
Nous nous souvenons d'une conversation avec un ancien membre du Kyokushinkaikan, alors Sensei yondan. Ce responsable d'un dôjô situé à Osaka avait début par le Shitô ryû karatedô, Ecole dont il avait obtenu le shôdan. Pour différentes raisons il avait rejoint un dôjô de l'IKO et avait donc remis une ceinture blanche, sans que cela ne pose le moindre problème. Plusieurs de ses deshi - dont votre serviteur - se trouvaient dans le même cas.
En France, nous citerons Romain Anselmo, sixième dan FFK, ancien champion de France, d'Europe et du monde. Lui aussi a remis une ceinture blanche en intégrant l'Ecole qu'il pratique aujourd'hui. Là encore, pas d'ego démesuré mais une compréhension intuitive de la Voie assortie d'un respect tout japonais. Idem pour Julien Porterie Senpai, actuellement yondan et venu, lui aussi, du Shotokan karatedô. Nous arrêterons là les exemples, encore nombreux.
Pour conclure, il est clair qu'un coup de poing reste un coup de poing et un coup de pied, un coup de pied. Nous ne connaissons pas d'Ecole proposant des techniques révolutionnaires. Il s'agit plutôt, comme expliqué plus haut, d'un respect d'une tradition et d'une Voie. Un minimum de recul et de réflexion permettra à tout pratiquant désireux de rejoindre une autre Ecole une acceptation de ces points et une compréhension naturelle des raisons qui sous tendent ladite tradition.