Pour qui n'a pas encore eu la chance d'aller au Japon, les idées reçues abondent sur le karatedô dans son pays d'origine.
On pourrait facilement imaginer trouver un dôjô à chaque coin de rue, allumer la télévision et tomber sur un tournoi de karate ou un cours, croiser des ceintures noires potentielles dans tous les ascenseurs, etc.
La réalité étant bien différente, votre webmestre s'est attaché, ces derniers mois au Japon, à questionner les Nippons sur le sujet. Cela afin de lever certains doutes et rétablir quelque peu la vérité.
Tout d'abord, le karatedô est loin derrière d'autres budô en termes de popularité. Le kendô ("escrime en armure") remporte la palme en la matière.
Avec près de vingt millions de pratiquants, la différence est vite établie. Quasiment tous les lycées ainsi que les universités possèdent leur propre dôjô.
Le jûdô, lui aussi, bénéficie d'une notoriété bien plus grande que celle du karatedô. Le fait d'être sport olympique et rapporter des médailles en série n'est certainement pas étranger à cet état de fait. Et, là encore, les collégiens, lycéens et étudiants se voient proposer des possibilités d'entraînement dont le karate ne peut se targuer.
Si les dôjô de karate universitaires sont plutôt nombreux, la situation est tout autre pour les lycées et collèges où, selon nos recherches, on ne trouve que 10% d'établissements proposant des cours de l'Art Martial d'Okinawa.
Concernant les dôjô privés, si on prend l'exemple de Tokushima City, ville d'environ 100000 habitants dotée d'un aéroport national et d'une université, on n'en trouve que six. Un de Shotokan ryû, un de Kyokushin ryû, auxquels s'ajoutent un dôjô de Shorinji kenpô (l'île de Shikoku étant le fief de cet Art Martial), deux de jûdô et deux de kendô.
Il ne s'agit là, bien entendu, que d'un exemple mais tout de même symptomatique.
La télévision fait elle aussi la différence en matière de popularité.
Si des émissions sur le sport, retransmises via le réseau hertzien, proposent de temps à autre des cours de Shotokan ryû karatedô, les autres émissions ne le sont que sur des chaînes câblées ou par satellite.
C'est le cas de la Shinkyokushinkai dont les compétitions sont proposées chaque mois sur la chaîne de sport S2; donc avec une audience forcément limitée.
Pour le reste les Nippons font souvent, semble-t-il, la confusion et l'amalgame entre le K1 (sur Fuji TV principalement), le Pride ou autres tournois assimilés et le karate donc.
En questionnant des Japonais de toutes conditions sociales et tous milieux professionnels, il est révélateur de constater combien le karate est peu connu du grand public. Tout le monde sait (à peu près) ce dont il s'agit mais, à nouveau, la confusion est fréquente avec les sports de combat médiatiques.
Dix jeunes Nippons - de 10 à 18 ans - questionnés par nos soins nous disent que la connaissance qu'ils ont du karate provient des manga qu'ils dévorent quotidiennement.
Il est vrai que les B.D. japonaises mettent souvent en scène des combattants pratiquants d'Arts Martiaux. Mais la précision et l'éveil aux budô ne sont pas le but des scénaristes et dessinateurs.
La seconde source des jeunes est constituée, sans surprise, par les jeux vidéo de combat.
La presse locale sur le karatedô est assez développée comme vous avez pu le lire dans l'article "La presse japonaise karate". Néanmoins, comme en France d'ailleurs, les divers mensuels sont achetés par des pratiquants alors que les magazines sur le football, le tennis ou la course à pieds sont plus orientés grand public. Il en va d'ailleurs de même pour les revues consacrées aux autres budô.
La presse sportive quotidienne, elle, ne parle pas de karate. Ses colonnes étant principalement occupées par des articles sur le baseball, le football et le catch (!).
La Corée du Sud, berceau du taekwondo, regorge d'anciens pratiquants de l'Art Martial national. Et pour cause: le service militaire obligatoire impose la pratique du TKD.
Rien de tout ça au Japon. Pratiquer le karatedô reste une décision délibérée.
Il faut comprendre que pour la majorité des Japonais, le karate n'est qu'un sport comme les autres.
Inutile d'imaginer les Nippons pénétrés de l'idée d'un Art Martial et respectueux de celui-ci.
De même, et relativement à l'opposé de la situation française, les jeunes pratiquants Nippons cessent généralement l'entraînement lors de l'entrée au lycée ou à l'université. Le manque de temps est un facteur déterminant dans cet abandon. D'où une situation plutôt similaire à celle que connaît le jûdô en France, avec une masse de pratiquants jeunes et - toutes proportions gardées - assez peu d'adultes dans les dôjô.
Nous avons questionné les parents d'enfants membres des dôjô que nous fréquentons à Ôsaka et Tôkyô, afin de savoir pourquoi ils avaient inscrit leur progéniture au karate.
Pour la majorité il s'agit de simple proximité géographique; le dôjô était proche de la maison. Ou bien ils n'avaient pas le choix; pas de jûdô à l'école du petit et l'horaire était plus pratique.
Plutôt rares sont les parents ayant délibérément choisi le karate. Parmi ceux-ci, un père nous dit que c'est la lecture des manga de karate lors de son adolescence qui a motivé son choix pour son fils.
Alors non, le karate n'est pas particulièrement populaire au Japon. Le pays est certes imprégné de culture martiale mais c'est plutôt le sabre qui court dans l'inconscient collectif des Japonais.
Le karatedô se porte néanmoins fort bien avec des chiffres assez stables selon la JKF, plus ou moins pendant nippon de la F.F.K. en France.
Au-delà de tout ça, l'essentiel bien évidemment reste de pratiquer. Alors continuons!