Le sujet des scissions a déjà été largement traité sur divers fora du site. Par contre, depuis quelques temps, nous avons effectué au Japon et ailleurs une recherche sur une autre forme de séparation. Celle-ci consiste à quitter son Ecole mais sans chercher à la concurrencer par la suite. Il n'est pas là question de revendiquer un héritage mais simplement d'organiser sa propre structure qui reste, généralement, de taille réduite et sans recherche d'expansion.
Notre propre Ecole a fourni plusieurs exemples qui tendent à confirmer cette tendance.
Prenons quelques cas étudiés si vous le voulez bien.
Ancien compétiteur d'exception pour le compte de l'IKO, Kazumi Hajime a quitté, voici quelques années maintenant, l'Ecole dirigée par Matsui Shokei Kanchô.
Il a créé sa propre synthèse, incluant bien entendu karatedô mais aussi taikiken, grappling et même yoga. Selon ses dires, Kazumi Hajime a ainsi réussi à intégrer ses idées personnelles à son enseignement et les partager. La liberté qui lui est maintenant offerte est profitable à sa progression et il entend poursuivre dans cette Voie, sans polémiquer ni chercher la concurrence avec son Ecole d'origine. Toujours dans le même ordre d'idée, cette dernière continuera de servir de base d'étude et socle de son enseignement, tant pour la technique que l'attitude au dôjô.
L'ancien champion est aujourd'hui à la tête de plusieurs dôjô dans une structure qui reste modeste par la taille. Pas de projets expansionnistes déraisonnables mais une progression rationnelle et mesurée garantissant un haut niveau de qualité et de personnalisation.
Autre grand champion du passé ayant atteint à l'émancipation, Yamaki Kenji a, quant à lui, carrément décidé de s'expatrier. Il a ouvert son propre dôjô à Torrance, dans le sud de la Californie.
Questionné par un mensuel américain spécialisé, il affirme que seul l'éloignement du Japon pouvait lui accorder cette liberté. Le niveau créatif y gagnerait mais aussi les changements dans la forme, qu'il s'agisse d'enseignement ou d'incorporation d'autres techniques que celles du Kyokushinkai karatedô.
Pour lui aussi la base reste sans conteste son Ecole d'origine mais celle ci ne lui aurait pas permis, en restant au Japon, les modifications apportées à sa façon de dispenser les cours. Il est effectivement clair que les cours au Japon sont très formatés voire répétitifs comme nous l'avons précisé au sein d'autres articles.
L'ancien champion estime que ses deshi, non Japonais donc, cherchent "autre chose" et que l'évolution est absolument nécessaire tout en n'oubliant pas d'où l'on vient et toutes les qualités de sa ryû de base.
Par ailleurs, en référence à son physique (1m87 pour 105 kgs), Yamaki Kenji estime qu'en poursuivant au Japon, il serait resté dans un cadre orienté "combat" alors qu'il conçoit aujourd'hui le karatedô sous un autre angle. Les diverses facettes de ce budô lui sont apparues progressivement, avec l'âge et l'expérience. Lui aussi a inclus le taikiken et certains exercices énergétiques chinois dans le contenu de son enseignement.
Pas question de renier son passé ni entamer une concurrence à quelque niveau que ce soit. D'autres dôjô Kyokushinkai sont installés dans la même région et les rapports sont tout à fait courtois.
Troisième exemple intéressant, celui du Danois (de souche grecque) Nicholas Pettas.
Cet ancien champion a toujours eu au Japon une réputation de franc tireur. Il a revendiqué depuis la fin des années 1990, alors même qu'il combattait toujours sous la bannière du Kyokushinkaikan, une indépendance d'esprit et d'action.
Loin de chercher la confrontation avec son organisation, malgré des frictions suite à des tournois Inter Ecoles non sanctionnés, il a surpris les Japonais en la quittant sans autre forme de procès.
Pour lui, la situation était simple: désaccord profond et durable entraînant une rupture consommée donc mieux valait partir.
Aucune velléité de concurrence ni critiques acerbes. Le Danois, bien connu des téléspectateurs Nippons, a trouvé dans la capitale un local correspondant à ses attentes et ouvert son propre dôjô, voici maintenant plusieurs années. A ce jour il ne dirige qu'un seul et unique centre, assisté par quelques yûdansha. Il y enseigne la Kyokushin ryû, sans référence directe au groupe IKO dont il est issu.
Fidèle à ses habitudes, il considère que ceux à qui sa démarche ne convient pas ne l'empêchent pas de dormir. Il souhaite simplement diffuser le karatedô, à son rythme et selon ses idées.
Le succès est d'ailleurs au rendez vous, particulièrement au niveau des enfants dont plusieurs dizaines sont inscrits à ses cours.
Comme pour les exemples précédents la volonté de liberté a motivé Nicholas Pettas qui fait généralement l'unanimité à son profit. Il ne s'occupe pas des autres et utilise sa base de connaissances pour enseigner.
Ayant assisté nous même à un cours auquel participait le fils d'un de nos contacts au Japon, ce que nous avons vu était très proche de l'enseignement dispensé au Honbu dôjô. Seules quelques différences dues à des idées personnelles dérogeaient aux habitudes.
Malgré une proposition de développement du type franchise, soumise par un homme d'affaire japonais, Nicholas Pettas a refusé pour continuer son petit bonhomme de chemin. Selon son ressenti, "...il y a déjà suffisamment de scissions et concurrence exacerbée, Shinkyokushinkai et autres..." Partant de ce principe, il préfère travailler "dans son coin" sans chercher à faire de l'ombre à qui que ce soit ni affirmer qu'il est le meilleur et détient la vérité absolue. Pour lui, l'avenir passe par ce type de petites structures et pas la création de grandes organisations car le terrain est déjà largement occupé.
Nous avons découvert un petit dôjô à Ôsaka, près du quartier de Tenmabashi (côté des galeries d'art pour celles et ceux qui connaissent l'endroit). Ancien bureau reconverti, comme bien souvent au Japon, il est dirigé par un "simple" shôdan, ancien de la Byakurenkai. Là encore, aucune ambition particulière pour Kaneko Senpai.
Estimant son Ecole trop axée sur le combat de compétition, pas assez technique et faisant l'impasse sur certains fondamentaux, le maître des lieux a décidé de quitter son dôjô et créer une structure à son image, correspondant à ses attentes et besoins. Démarche relativement rare au Japon mais qui suit donc la tendance évoquée dans cet article.
Ses deshi et lui même portent des dôgi de sa ryû originelle mais sans kanji, mon ou autres symboles distinctifs.
Le postulat de Kaneko Senpai est simple: prodiguer des cours en essayant de cerner ce qui est à garder, ce qu'il faut éviter, ce qu'il faut ajouter et se faire plaisir.
Bien conscient qu'il n'obtiendra jamais de grade plus élevé que le shôdan cet enseignant reste philosophe et bien conscient de ses choix.
A son avis, il est inutile de tenter de concurrencer les Ecoles ayant pignon sur rue. Travailler pour soi reste plus intéressant sans chercher à inventer quoi que ce soit. Il a baptisé sa modeste structure "karate dôjô", sans autre référence et n'exclue pas d'intégrer un jour d'autres techniques que celles de la Byakurenkai, base de ses cours.
Nous avons également entendu parler d'un autre dôjô près de Kôbe, dont le responsable a quitté la Shitô ryû tout en en conservant les acquis. Idem dans la préfecture de Chiba pour un ancien de la Wadôkai.
Sans être très fréquente, cette démarche n'est donc pas un acte totalement isolé au Japon.
Ce qui nous a attiré et séduit pour la réalisation de cet article reste le refus de la polémique et de la concurrence. Une attitude plutôt rafraîchissante dans le milieu du karatedô au Japon.
Nous espérons que cet article aura eu l'heur de vous intéresser.