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L'enfer au Japon! La suite...

Description de la pratique réelle du karate au Japon.

L'enfer au Japon! La suite...

Message par karatejapon » Mar Sep 05, 2006 11:12 pm

Vous avez aimé "L'enfer au Japon"? Alors vous adorerez la suite que voici. Âmes et - surtout - corps sensibles s'abstenir.

Nous sommes mercredi matin, 8:30 et déjà 26 degrés et 60% d'humidité dans l'air, en ce mois de juillet2004.

Je me lève, courbatu et ne comptant plus les hématomes et autres "bobos" récoltés lors de l'entraînement de la veille au soir. Fatigué mais content, j'attends impatiemment le cours spécial prévu chaque mercredi.

Il est maintenant 19:30 et je suis devant la porte du dôjô en compagnie des quelques autres deshi. Nous faisons connaissance et ne manquons pas d'apprécier à nouveau la gentillesse et la simplicité des ces pratiquants Nippons.

Yasuda Toshio Shihan arrive quelques minutes après que la jeune élève de 13 ans - déjà présente la veille - ait ouvert la porte.

A 20:00 tout le monde est prêt et en tenue...peu orthodoxe.
En effet, pour ce cours basé sur la condition physique et l'endurcissement, le port du dôgi n'est pas obligatoire. Pour notre part nous enfilons le pantalon du karategi et un T-shirt.

Comme la veille, le senpai le plus ancien frappe le ôdaiko pour signaler le début de l'entraînement.

Les divers saluts d'usage ne sont pas expédiés et, malgré nos tenues hétéroclites, l'ambiance d'un véritable dôjô règne ici.

Après une courte séance de mokusou (méditation), quelques minutes tout au plus, nous entrons dans le vif du sujet.
Court échauffement couplé à des mouvements de stretching puis techniques de karate à proprement parler.

Il fait nuit dehors mais encore 25° et, bien sûr, humide à souhait, un vrai bonheur...

Au bout de 15 minutes, déjà trempés de sueur, nous nous alignons sur deux lignes et entamons le travail aux boucliers de frappe en combinant des techniques pieds/poings (3 ou 4 à chaque fois).
Yasuda Toshio Sensei nous encourage de la voix à frapper de plus en plus vite et de plus en plus fort. La fatigue rend la coordination des mouvements difficiles et le rythme élevé n'arrange rien.

Soudain une pause. Chic! L'occasion de se désaltérer et éponger la sueur; exercice futile s'il en est.

Nous reprenons très vite et plaçons des planchettes de bois afin de commencer les séries de pompes sur les poings (eux mêmes sur les planchettes bien sûr).
Le menu est simple:
- Une série de 10 puis, dans la foulée 30 secondes de techniques de poing dans le vide à vitesse élevée et avec de la puissance.
- 1 minute de repos puis une nouvelle série de pompes, 20 cette fois ci. Et toujours les tsuki durant 30 secondes qui paraissent maintenant bien longues.
- La courte minute de repos écoulée nous avons droit à une série de 30 pompes (les triceps sont en feu à ce moment là) sans oublier ces fameuses 30 secondes.
Puis, surprise!, nous refaisons le même exercice mais decrescendo cette fois afin de varier les plaisirs.
Quand nous parlions d'enfer...

Je reconnais bien volontiers m'être quelque peu écroulé (dans tous les sens du terme) sur la deuxième partie de l'exercice mais les camarades d'entraînement ne font pas mieux.

J'allais oublier: les 3 fois 30 secondes en descendant la pyramide de l'exercice s'effectuent avec un kiai sur presque chaque tsuki.
D'ailleurs, comme le fait remarquer le Sensei , n'étant que 8 élèves présents nous devons compenser par un surcroit d'énergie libérée à chaque kiai. "Les passants doivent imaginer que nous sommes deux fois plus nombreux!". Ce à quoi nous répondons en choeur par un "OSU" particulièrement puissant.

Enfin la torture prend fin car il est temps de...travailler nos abdominaux.
Là encore les séries sont interminables et la douleur sans fin. A croire qu'au Japon on ne compte qu'en dizaines.

Nous reprenons ensuite des séries de techniques enchaînées sur partenaire mais sans les boucliers cette fois.

Tout cela nous amène à 21:00, écrasés de fatigue mais contents de saluer pour finir.

Juste le temps de se réhydrater et s'éponger le visage - toujours sans résultat - puis nous enfilons les chaussures de sport car nous allons courir dans les rues d'Ôsaka...
Après un bref échauffement des tendons de la cheville au pied de l'immeuble abritant le dôjô, nous voilà partis dans la nuit. Il fait affreusement chaud et humide mais le pire est de ne pas savoir quelle distance nous devons parcourir.

A ce propos, ce soir là, Yasuda Toshio Sensei n'indiquera jamais le nombre des séries à réaliser ou le temps à tenir sur chaque exercice. Il s'agit tout simplement d'endurcir aussi - et surtout - le mental.

Les plus résistants se relaient en tête de colonne et le Sensei fait office de voiture balai...à vélo.

En fait, cette première partie fut courte, pas plus de 3 kilomètres sur le bitume mais elle s'achève sur un sprint de 50 mètres qui fait mal dans les cuisses. Bien sûr votre webmestre met un point d'honneur à le gagner.

Dégoulinants de sueur nous entrons dans un parc public et prenons possession du terrain de baseball seulement éclairé par la lune.
Débutent alors des séries de sprints sur 30 mètres, retour en marchant puis redémarrage quand tout le monde est à nouveau sur la ligne de départ. Dur, dur...tout ça. Au total nous en ferons 5. Le dernier se fait houspiller et doit faire mieux au tour suivant.
Je suis content car j'ai gagné les 5 sprints.

Ensuite nous prenons un partenaire sur les épaules et nous répétons le même exercice sur 20 mètres. La cinquième fois je me dis que j'aurais du être moins "généreux" sur les sprints purs car mes jambes ont vraiment du mal à me porter. L'atmosphère est lourde et chargée d'humidité.
Néanmoins je suis chanceux car je suis le plus lourd et j'hérite d'un Japonais de 73 kilos seulement. Si j'avais du porter les 95 kilos (avoués) de Yasuda Toshio Sensei...

Après ça, tels des lutteurs de sumô, nous devons pousser notre partenaire sur 20 mètres alors qu'il fait tout pour freiner. Là encore 5 allers/retours en changeant de "pousseur" à chaque fois.

Un peu de marche en canard puis de sauts accroupis pour parfaire notre musculature des fessiers et autres quadriceps et nous voilà sur le chemin du retour, toujours en courant bien entendu.
Légère variante cette fois ci: chaque élève - à tour de rôle - crie à pleins poumons "kyokushin fa-i-to", soit "fight" en anglais ("combat"), à 5 reprises, ce à quoi les autres répondent "ichi ni" ("1, 2") en choeur à chaque fois et aussi fort.
Les passants qui croisent notre bande d'énergumènes ne semblent pas se formaliser outre mesure de tout cela sauf les non Japonais qui nous observent avec un mélange d'incrédulité et d'inquiétude.

A 50 mètres du dôjô nous arrêtons de crier pour attaquer l'accélération finale que je gagne encore et...regrette aussitôt quand j'entends le Sensei changer quelque peu d'avis et tourner dans une ruelle sombre.

Nous arrivons peu après sur une berge de la rivière au bord de laquelle se trouve le très bel hôtel Teikoku (Imperial Hotel).
Quelques minutes de récupération sur une place aménagée au bord de l'eau puis nous entamons des séries de montées de marche à pieds joints, puis à cloche pied, puis en canard, puis en sprintant, etc...ça n'en fini pas. Le rythme est soutenu et la chaleur est une ennemie implacable.

Une fois tout cela fini nous repartons - en courant bien sûr - vers le dôjô; enfin. Une dernière acceleration de rigueur, à nouveau remportée (OSU!) et nous voici finalement devant l'immeuble ou se trouve le dôjô.

Les deux étages en paraissent le triple mais, enfin, nous pouvons nous réhydrater.

Les saluts et...Ha bon? On ne rentre pas au vestiaire? Pourtant il est plus de 22:00.

Nous entamons donc des séries de sauts en longueur afin de travailler la détente et l'explosivité. Pas de temps morts entre chaque saut, comme de coutume.

Des séries de tsuki pour se "remettre dans le bain" du karate (en plus du bain de sueur) et nous retravaillons des techniques plus martiales dont des shutô à la base du cou et des kinteki (coup de pied direct aux parties génitales) bien fouettés et à pleine vitesse. Les genoux n'apprécient guère ce traitement après tout ce qui a précédé.

Il est alors 22:30. Je n'en peux plus mais il faut s'accrocher; c'est tout l'intérêt de ce type d'entraînement poussé aux limites.

Les choses prennent alors une tournure que nous qualifierons d'intéressante.
Nous enfilons les protège tibias, les gants voire les casques et autres protège dents.

L'exercice est tout simple et ressemble beaucoup à ce que nous avons travaillé la veille. Deux lignes face à face, 1 minute de combat puis on se décale pour affronter un autre partenaire. Deux tours au total.
Une différence toutefois: les coups sont moins retenus et la fatigue est terrible.
Les knockdowns se succèdent. Je m'en tire honorablement mais j'ai du mal à enchainer plus de deux techniques.

Notre petit groupe compte une femme d'une quarantaine d'années qui doit mesurer un mètre cinquante et ne doit pas passer la barre des quarante kilos. Quelle énergie! Certes elle n'a pas couru à notre rythme mais quand même.
J'ai le cerveau un peu embrumé à ce moment là et cette brave dame me place un jôdan mawashi geri en plein menton (je l'ai senti pendant près d'une semaine!). Cela a pour vertu de me réveiller et je l'enterre sous une grêle de coups mais contrôlés tout de même.
Je me venge sur mes deux prochains partenaires en réussissant un jôdan mawashigeri qui envoie le premier au sol et son casque à l'autre bout du dôjô et un ushirogeri au foie qui plie le deuxième pour un KO.

L'élève le plus âgé ce soir là (cinquante ans) est mon avant dernier partenaire. Je n'en peux vraiment plus et regrette amèrement tous les efforts consentis sans compter, plus tôt dans la soirée. Je ne vois rien venir, bouge peu et prends beaucoup de coups. Un dernier sursaut (d'agonie) me permet de placer un hiza geri qui fait reculer mon partenaire de deux bons mètres.
Le gong retentit et c'est -enfin - le dernier tour. Non! Pas lui! Je me retrouve face à Yasuda Toshio Sensei qui retient ses coups (pas trop quand même) au vu de mon épuisement total.
Il place quand même un gedan mawashigeri particulièrement douloureux à l'intérieur du genou et je réplique (faiblement) avec mes genoux pour tenter de le maintenir à distance.
Finalement je suis sauvé du knockdown par le gong. J'ai au moins obtenu une victoire morale; je suis resté debout jusqu'à la fin, je ne sais pas trop comment d'ailleurs.

Les saluts puis le cercle et nous analysons notre travail du jour qui a duré trois heures. Simplicité, candeur et honnêteté sont ici les maîtres mots de l'exercice.
J'ai le droit, comme la veille, de me présenter de façon formelle.
J'ai mal partout, suis déshydraté, épuisé...mais content.

Après les derniers saluts et les poignées de main rituelles mais sincères, il ne nous reste plus qu'à faire le ménage dans le dôjô. Comme la veille je me charge des escaliers de l'immeuble et les Japonais qui sortent du bar au premier étage me regardent d'un air étrange.

Il est 23:45 lorsque je quitte le dôjô pour regagner mon hôtel. J'achète une bouteille de 2 litres d'une boisson énergétique et c'est le paradis après l'enfer. Un litre englouti en trois minutes. Tant pis pour l'estomac, j'ai trop soif.

Il fait 23°, le taux d'humidité est encore de 75% mais j'ai été en enfer et en suis revenu.
Je boîte jusqu'à ma chambre et reste un quart d'heure sous la douche.
Après, je fais le compte des divers hématomes avant de plonger dans le lit si durement mérité.
Je réfléchis avant de sombrer et me dis qu'en près de vingt trois ans de pratique je n'ai jamais rien connu d'aussi dur physiquement et mentalement. Je me dis aussi que, dès que possible, j'y retournerai.
J'ai gagné la confiance de mes camarades d'entraînement et de mon professeur et rien que pour cela ça valait le coup.

Le retour vers Paris fut dur. Le genou me fait souffrir allègrement. J'ai mis une semaine à effacer les séquelles physiques de ce cours si particulier, dans la plus pure tradition de la Kyokushinkai et du véritable karatedô en général tel qu'il est généralement pratiqué dans les dôjô japonais.

Je souhaite à tous les pratiquants aussi passionnés que moi de vivre les mêmes moments intenses.
Dernière édition par karatejapon le Dim Juin 24, 2007 9:53 pm, édité 2 fois.
karatejapon
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Message par gojira » Sam Sep 11, 2010 8:21 am

Bravo... Respect!
Est-ce que les élèves s'entrainent comme ça tout le temps?
Quel est leur fréquence d'entrainement par semaine? Y a-t-il des entrainements plus techniques, moins durs physiquement?

La dureté de l'entrainement a-t-elle été mise en place parce que vous veniez?

EN tous les cas bravo pour avoir enduré cela aussi longtemps.

N'y a-t-il pas un risque physique de faire ce type d'entrainement trop souvent? D'après votre compte rendu, vous n'alliez pas vous hydrater très souvent. Or on sait que quand on perd 5% de sa masse acqueuse on perd 20% de sa force et qu'une perte de 20% d'eau entraine la mort (quelque chose comme ça)... N'y a-t-il pas un risque à ne pas se réhydrater suffisamment? Quid des problèmes tendineux et musculaires liés à la déshydratation?

Merci pour tes réponses
www.shinryu.fr : culture japonaise et arts martiaux
gojira
 
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Message par JEJOU » Sam Sep 11, 2010 12:47 pm

Un régal à lire, j'espére un jour vivre une telle expérience (si j'arrive à un bon niveau bien sûr), merci de nous avoir donner une si bonne eau à la bouche.
"La mort n'est rien, mais vivre vaincu et sans gloire, c'est mourir tous les jours ". Napoléon Bonaparte
JEJOU
 
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Message par tarek » Mer Sep 15, 2010 4:20 pm

Cher Webmestre votre récit me donne encore plus envie de pratiquer et surtout un jour d'aller au japon m'entrainer, très bien raconté on a l'impression d'y être

Je dis Bis

Osu!
tarek
 
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